Les anagrammes de Varsovie, Richard Zimler
Les anagrammes de Varsovie, traduit (USA) par Sophie Bastide-Foltz, janvier 2013, 340 pages, 22 €
Ecrivain(s): Richard Zimler Edition: Buchet-Chastel
Il y a des romans qui marquent leurs lecteurs. Celui-ci en est un, qui ne sortira pas de ma mémoire de si tôt. J’ai été captivé et ému par ce livre que je ne peux que recommander. Les anagrammes de Varsovie… l’histoire se déroule au début de l’hiver 1940 dans le ghetto pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons tous une mémoire précise de ces évènements et nous avons sans doute tous vu Le pianiste, le très bon film de Roman Polanski. Il n’est donc pas nécessaire de revenir sur l’aspect historique.
Je vais donc en parler pour le propos de ce livre et non pour l’Histoire du ghetto. Les deux y sont intimement liés et ce qui fait la force du récit, c’est qu’il ne tombe jamais dans un travers pathos. L’Histoire sous-tend le roman, elle en est indissociable, elle reste une douloureuse toile de fond, mais elle n’encombre pas, ne prend jamais le pas sur l’intrigue. Quel talent il faut pour nous décrire la douleur et la misère d’un quotidien unique, pour nous asséner des coups dans la poitrine, sans jamais nuire à la fiction. Ce qui fait la force de ce récit particulièrement bien conduit ? L’équilibre entre histoire et Histoire.
Le Docteur Erik Cohen raconte à un tiers la perte des siens qui ne sont pas des victimes directes de la guerre de combat, mais les victimes de la conséquente barbarie nazie – de laquelle l’auteur ne dissocie pas le peuple allemand, complice dans sa majeure partie – et ses adeptes locaux sur le rythme d’une enquête sans temps mort, dans le ghetto et à l’extérieur. Adam, son petit-neveu est retrouvé mort, assassiné et mutilé. On lui a coupé une jambe. Pourquoi ? Le mystère doit être percé. On a glissé dans sa bouche un morceau de fil. Pourquoi ? Est-ce un signal qui lui est adressé ? Si oui par qui ? Erik Cohen, un psychanalyste autrefois réputé veut savoir et se venger. Ce doit être l’acte ultime de sa vie. Ce sera sa guerre à lui, celle qu’il doit mener contre l’occupant meurtrier, en utilisant tous les moyens dont il peut disposer. L’homme paisible devient habité, les circonstances le changent et il nous emporte avec lui dans une enquête haletante. Les personnages foisonnent, mais subtilement, l’auteur nous rappelle qui ils sont pour que nous ne mélangions pas tout. Chaque chapitre apporte son lot de rebondissements et d’interrogations. On cherche à deviner, mais les indices ne sont pas si nombreux.
L’écriture est sobre et efficace et, sans aucun doute la traduction de l’américain a été faite avec justesse. C’est écrit à la première personne, ce qui donne à ce récit un ton vif pour décrire, évoquer, constater, se souvenir, ruminer la vengeance. Erik Cohen n’est pas un héros, c’est un désespéré parmi d’autres qui se trouve une bonne raison de se mettre en marche.
Je ne peux pas vous dévoiler la fin du livre mais je peux vous dire qu’il a eu sur moi deux effets opposés : la tristesse que ce soit déjà fini et la satisfaction d’en finir. Il doit en être ainsi des œuvres qui ne laissent pas indifférent.
Ce livre est un rappel utile, nécessaire, à une époque où les génocides se regardent au travers des médias comme un évènement parmi d’autres. Une désolation vite oubliée avant de s’engouffrer dans le drame suivant. Richard Zimler nous redit que l’horreur ne peut pas être banalisée et que le devoir de mémoire s’impose.
Lisez ce livre, il devrait déposer sur votre langue quelques gouttes d’acide que vous aurez envie de recracher, mais vous aurez passé un excellent moment de lecture.
Gilles Brancati
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