Les Amazoniques, Boris Dokmak
Les Amazoniques, avril 2015, 430 pages, 19,95 €
Ecrivain(s): Boris Dokmak Edition: Ring Editions
Voici un roman qui est tout le contraire d’un long fleuve tranquille, même si la majeure partie de son cours narratif se déroule sur les eaux généralement languides d’un immense réseau fluvial plus ou moins imaginaire que l’auteur situe dans une région inconnue aux confins de la Guyane et des pays limitrophes.
Dans cet enfer vert et quasi-vierge d’exploration, vit depuis des années le professeur Loiseau, un ethnologue français, en immersion dans des ethnies amérindiennes mal connues.
Un jour, à la stupéfaction des autorités locales, surgit de la forêt un Indien malade à l’agonie, « complètement radioactif », appartenant à la tribu considérée comme totalement éteinte des Arumgaranis cannibales. L’homme, porteur d’un mystérieux carnet noir rend l’âme immédiatement.
Dans le même temps est annoncée la disparition de Loiseau, soupçonné d’avoir assassiné ou fait assassiner au cœur de la jungle, pour des raisons obscures, Mc Henry, un agent américain représentant d’importants intérêts politico-économiques états-uniens. En conséquence, la vie de Loiseau est officiellement tenue pour fortement menacée.
Saint-Mars, alias S.M., alias La Marquise, policier parisien en délicatesse avec sa hiérarchie, fait l’objet d’une mutation disciplinaire en Guyane, avec mission de retrouver Loiseau et de le ramener aux autorités françaises de la région au motif d’assurer sa protection.
Saint-Mars, opiomane, perpétuellement sous morphine pour raisons de santé, se retrouve insupportablement plongé dans un microcosme malsain, sordide et torride.
Là se croisent et s’entretuent des garimpeiros, des aventuriers chasseurs d’Indiens à réduire en esclavage dans de grandes plantations des pays voisins, des Indiens vindicatifs chasseurs d’aventuriers, des trafiquants en tous genres, et, pour compléter la liste des périls de toute nature, une faune féroce et une flore oppressante.
Là végètent, dans des bourgades perdues, des Européens désenchantés dont le cours s’est un jour arrêté là, des Indiens déculturés réduits à accomplir en contrepartie de salaires de misère les travaux les plus difficiles pour alimenter leur alcoolisme chronique, des prostituées locales et pléthore de filles de joie importées…
Dans cet univers où le temps ne compte pas, où les heures paressent et s’appesantissent, où le moindre détail des préparatifs du voyage qui doit mener Saint-Mars au cœur de la jungle à la recherche de Loiseau se heurte à des obstacles démesurés tantôt dus à l’inertie inexplicable des autorités chargées de l’aider, tantôt mis en place par le clan McHenry, le policier va découvrir fort lentement, le mystère et le suspense étant magistralement entretenus par l’auteur, que l’affaire Loiseau-McHenry n’est que l’épisode collatéral d’une gigantesque et scandaleuse histoire d’expérimentation de l’impact de la radioactivité sur des cobayes humains.
On n’en dira pas plus…
Mêlant éléments historiques réels et pseudo-informations de pseudo-services secrets français et américains, Dokmak dénonce, entrecroisant verve truculente, descriptions d’un réalisme brut, voire brutal, et actions scéniques de nature à exprimer sans pudibonderie la cruauté de protagonistes pour qui une vie humaine est de valeur absolument nulle, d’une part et à la fois la cupidité sans limite des envahisseurs blancs ayant pour conséquence l’extermination des peuples indigènes et la destruction massive du patrimoine forestier local, d’autre part l’impitoyable « raison » d’état des puissances se livrant à la course sans fin du surarmement nucléaire et chimique…
Ça bouscule ! Ça « interpelle », comme on dit vulgairement ! Mais ça fait réfléchir…
Attention, toutefois : âmes sensibles s’abstenir !
Patryck Froissart
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