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Les affligés, Chris Womersley

Ecrit par Yann Suty 13.06.12 dans La Une Livres, Les Livres, Albin Michel, Recensions, Océanie, Roman

Les affligés (The Wilding), trad. de l’anglais (Australie) par Valérie Malfoy, 328 p. 20 €

Ecrivain(s): Chris Womersley Edition: Albin Michel

Les affligés, Chris Womersley

Difficile de dire à quel genre appartient Les Affligés. L’auteur semble d’ailleurs se faire un malin plaisir à nous embarquer dans une direction pour mieux nous tromper par la suite. Drame de l’après première guerre mondiale ? Histoire de vengeance ? Roman gothique ? Western sauce australienne ? Un peu de tout cela à la fois.

Le roman s’ouvre par une tragédie. En 1909, la jeune Sarah Walker est violée, et assassinée. Son père et son oncle retrouvent son frère aîné, Quinn, seize ans, sur les lieux, un couteau à la main. Tout semble le désigner comme coupable. Quinn s’enfuit. Une chance pour lui, la région est ravagée par de fortes pluies qui effacent ses traces et il n’est pas retrouvé.

« On supposa que le fugitif de seize ans avait connu une fin conforme à l’idée que l’humanité se faisait de la justice immanente. Des hypothèses populaires à une certaine époque prétendirent qu’il avait été dévoré par les dingos rôdant dans les montagnes du voisinage ; qu’il était tombé dans un puits de mine, qu’il avait été transpercé par le javelot d’un Aborigène ».

En 1916, la mère de Quinn reçoit un télégramme lui faisant part de son décès dans le premier corps expéditionnaire australien envoyé en France.

Mais Quinn n’est pas mort.

La guerre achevée, il décide de revenir au pays pour retrouver l’assassin de sa sœur. Sur le chemin, en mer, il jette la médaille de guerre dont il a été décoré pour des actes de bravoure sur le front.

« Parmi tout ce dont il pouvait avoir légitimement honte dans sa vie, c’était peut-être cette médaille le pire ».

Quinn a été gazé pendant les combats et « les méchants brouillards résiduels continuaient à stagner au-dessus des parties creuses de son corps, s’y déposaient ici ou là quand il dormait ou devenait immobile». Il est devenu en partie sourd mais, surtout, une vilaine cicatrice qui lui défigure le visage. « On aurait dit des grumeaux de porridge ».

« Vous faites peur aux enfants, le savez-vous ? »

C’est un autre que celui qui l’a quitté qui revient au pays. Le petit garçon est devenu un homme, mais l’homme est méconnaissable. Quoi de mieux pour accomplir une vengeance que de ne pas être reconnu ?

Il y a quelque chose d’un western dans ce livre. On pense particulièrement à L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood où un mystérieux pistolero (un mort ?) venait réclamer vengeance. Car Quinn est considéré comme mort. Et lui aussi se considère comme tel. C’est pour cela qu’il a jeté sa médaille de guerre à la mer. Il redevient en quelque sorte l’enfant qu’il avait été, comme s’il devait nécessairement être un gamin pour retourner dans le pays où il a grandi. Etrangement, le héros de guerre qu’il avait été perd tout courage, devient même lâche.

La première guerre, et notamment la bataille de Gallipoli, avait été le ciment de la nation australienne. C’est vraiment là qu’est née l’idée d’une communauté de destins. Et pourtant, quand Quinn retourne au pays, une autre sorte de guerre règne. Des hommes en armes sillonnent les campagnes. Une épidémie de grippe espagnole secoue le pays. Une quarantaine est mise en place.

Quinn se réfugie dans les collines non loin de la maison de ses parents. Il est persuadé que si son père et son oncle le retrouvent, ils le pendront pour la mort de Sarah. Bientôt, il fait la connaissance de Sadie Fox, une gamine d’une douzaine d’années, au comportement très étrange. Elle semble toujours sortir de nulle part. Elle « savait indubitablement des choses ignorées des mortels ». Elle semble aussi en savoir plus qu’elle ne devrait sur le supposé crime, comme si elle avait certains dons qui repoussent les limites du rationnel…

Les Affligés est un livre riche en interprétations, qui stimule l’imagination. Chris Womersley s’amuse à jouer avec le fantastique, mais sans jamais en franchir la frontière.

Quinn paraît très rationnel, alors que Sadie a une dimension mystique. Il pourrait représenter l’Australie blanche, celle des colons, alors qu’elle représente l’Australie des aborigènes, le peuple d’origine exterminé. Ce serait une première tentative de réconciliation. Sauf que Sadie n’est pas une aborigène…

Il y a aussi la construction d’un mythe. La naissance d’une légende, d’un croque-mitaine. En s’enfuyant, Quinn avait provoqué les rumeurs les plus folles sur son compte. Quand il revient, il est méconnaissable. Mais peu à peu, les gens vont apprendre qu’un étranger rôde dans les collines, un étranger défiguré qui vient rétablir la justice. Soit un personnage idéal pour empêcher les enfants de faire des bêtises. Rester sages sinon le croque-mitaine viendra vous chercher pour vous punir.

 

Yann Suty


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A propos de l'écrivain

Chris Womersley

Né en 1968 à Melbourne, Chris Womersley a été récompensé par le Ned Kelly Award en 2008 pour son premier roman, The Low Road. Son deuxième livre, Les Affligés, paru en 2010 en Australie, a été finaliste de tous les grands prix littéraires du pays.

A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock