Les 1001 conditions de l'amour, Farahad Zama
Les 1001 conditions de l’amour, The many conditions of love, trad. de l’anglais Perrine Chambon, 2012, 428 p. 19 €
Ecrivain(s): Farahad Zama Edition: Jean-Claude Lattès
Les rapports amoureux et les relations au sein du couple ne sont jamais chose simple en ce monde complexe qu’est l’Inde d’aujourd’hui.
Rehman et Usha d’une part, Aruna et Ramanujam d’autre part, en font la douloureuse expérience dans ce deuxième roman de Farahad Zama.
Rehman est musulman, Usha est hindoue. Cette appartenance à deux communautés qui ne se supportent pas constitue, d’entrée de livre, une source inéluctable, prévisible, d’obstacles et de tracas, dont on retrouve le schéma dans une bonne partie des films de Bollywood.
Aruna appartient à une famille pauvre. Ramanujam, médecin, de milieu bourgeois, subit volontiers l’influence de sa sœur, une personne acariâtre qui méprise Aruna. Ce triangle, tout aussi récurrent dans la cinématographie indienne, laisse espérer, dès que ces personnages prennent vie narrative, de désastreuses scènes de ménage…
Rehman est altermondialiste et soutient les luttes paysannes contre les multinationales qui s’accaparent les terres, Usha est journaliste à la télévision contre l’avis de son père, un traditionaliste qui ne voit pas d’un bon œil l’émancipation de sa fille, et qui craint par-dessus tout les regards critiques que ne peuvent manquer, il en est convaincu, de diriger sur elle, et donc par ricochet sur lui, les tenants du maintien de la femme sous le toit et sous la tutelle du père ou du mari. Les heurts, conflits et punitions sont inévitables.
Aruna, bien qu’ayant « épousé une famille aisée », tient à conserver l’autonomie financière que lui confère son travail de secrétaire en l’agence de Monsieur Ali, le père de Rehman, un marieur officiel, ce qui, au hasard des demandes d’époux ou d’épouses que viennent détailler dans l’officine des familles de toutes religions, de toutes castes, de tous niveaux sociaux, permet au narrateur de mettre en lumière, de façon objective, concentrée, cumulative, le poids toujours aussi oppressant des communautarismes, des préjugés, des traditions, des cloisonnements qui caractérisent la société indienne contemporaine.
« Chez moi, les femmes se taisent quand les hommes parlent affaires. En ville, les hommes sont devenus faibles et laissent leurs femmes leur manquer de respect… Si j’épouse votre fille, je lui imposerai une discipline stricte ».
La boutique de Monsieur Ali est aussi un carrefour narratif où se croisent Aruna et Rehman sans jamais échanger un mot, où se frôlent régulièrement, sans jamais s’intriquer l’une en l’autre, leurs histoires respectives.
L’auteur établit en ce lieu, en ce nœud, une correspondance signifiante entre les requêtes en recherches de mariages arrangés qui s’y succèdent et la double intrigue faite de hauts, de bas, et de ruptures au travers de quoi il conduit les deux jeunes couples. La nature des critères sociologiques, ethniques, claniques et religieux déclinés devant Monsieur Ali et sa secrétaire par les requérants successifs expliquent, éclairent, justifient, a priori et a posteriori, les vicissitudes et les brimades que subissent Rehman et Usha d’une part, Aruna et Ramajunam d’autre part.
L’étroite relation entre le quotidien traditionaliste du marieur et celui de ces quatre protagonistes représentatifs d’une certaine modernité à l’occidentale laisse, en définitive, l’impression pessimiste que la société décrite évolue peu, que les contraintes sociales s’y reproduisent en dépit des progrès technologiques : bien qu’Aruna obtienne l’accord de Monsieur Ali pour remplacer la machine à écrire du bureau et les fiches cartonnées par un ordinateur, les pratiques sociétales, quant à elles, restent désespérément les mêmes.
Patryck Froissart
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