Léon et Louise, Alex Capus
Léon et Louise, 5 septembre 2012. 313 p. 22,50 €
Ecrivain(s): Alex Capus Edition: Actes Sud
Cliché. Dans le champ lexical de la critique littéraire, ce terme est des plus péjoratifs. Il implique le manque de créativité, la répétition d’images éculées. Et pourtant. Ce joli livre d’Alex Capus, nostalgique et attachant, évoque de bout en bout l’idée et le mot de « clichés ». Pratiquement au sens propre : photographies. Pour être plus précis, cartes postales anciennes, sans image, en une sorte de collection affichée sur 313 pages. Et ce parti pris de chapelet de clichés donne un charme particulier à ce roman.
Les clichés commencent par le propos même du livre : un jeune homme et une jeune femme se rencontrent au printemps 1918. Ils ont 17-18 ans, s’aiment, se perdent, se retrouvent, se reperdent, se retrouvent sur quelques décennies. Le « tourbillon de la vie », d’une guerre mondiale à une autre et après. Ce livre est hanté par les films de François Truffaut, une sorte de « Baisers volés » et de « Domicile conjugal » saupoudrés de « Jules et Jim ». On se prend sans cesse à fredonner la chanson de Jeanne Moreau au cours de la lecture, on se prend aussi à donner aux deux héros les traits de Jean-Pierre Léaud et ceux de Claude Jade ou de Marie-France Pisier.
Tout démarre quand Léon – grand-père tout juste décédé du narrateur – part pour la grande aventure de la vie, quittant le domicile parental à l’âge de 17 ans. Le voilà en bicyclette sur les routes de la côte normande. Il va y rejoindre une petite commune, St Luc/Oise, où il a déniché un improbable emploi de télégraphiste à la gare des chemins de fer. Tout y est cliché : les rêves de la jeunesse, les paysages normands, et bien sûr « la » rencontre avec une jeune fille à la bicyclette dont les pédales couinent.
« C’est alors qu’il entendit un bruit derrière lui – un bref grincement, qui se répéta plusieurs fois à intervalles rapides et réguliers en devenant de plus en plus fort. Léon se retourna.
Il vit alors une jeune femme, droite et svelte sur la selle d’une vieille bicyclette d’homme plutôt rouillée qui se rapprochait à vive allure ; (…) Au bout de quelques secondes, elle était arrivée à sa hauteur, elle lui lança « Bonjour ! » avec un signe de la main et le dépassa aussi facilement que s’il avait été arrêté au bord de la route. »
Et, de cette rencontre, la vie va s’écouler comme un jeu de hasard, comme un long je t’aime moi non plus.
Léon se marie avec Yvonne, devient fonctionnaire quai des Orfèvres à Paris, fait des enfants. Louise ne se marie pas, vit à Paris puis voyage. Et tous les dix ans leurs routes se croisent. Pas dans l’amour fou, loin de là. Dans une sorte de tendresse qui n’en finit pas, dans un attachement à la fois léger et indéfectible.
Et les clichés défilent. Paris sous l’occupation, les files devant les boulangeries. Léon est tout sauf un héros. Pas de Résistance. Son seul acte de résistance consistera à refuser de boire le café qu’un officier allemand lui offre !
Deuxième rencontre avec Louise. Cliché :
« Dès la première seconde, Léon en fut convaincu : pas de doute, c’était sa Louise.
Bien sûr elle avait changé pendant les dix années écoulées ; les traits encore enfantins du visage de jeune fille s’étaient accentués, ils étaient plus déterminés, c’étaient ceux d’une femme adulte »
Léon voit Hitler passer en voiture sous son nez boulevard St Michel ! Cliché bien sûr :
« L’homme assis sur la banquette arrière était sans conteste Adolf Hitler, impossible de se tromper. La Mercedes roulait à vive allure, mais passa à côté de Léon sans vitesse excessive, suivie par trois autres véhicules plus petits et, bien entendu, pas plus Hitler que ses acolytes ne remarquèrent mon grand-père qui arrêté sur le trottoir, ses trois baguettes sous le bras, regardait passer devant lui, décontenancé, le courant d’air de l’histoire universelle. »
Regarder passer l’histoire est un véritable destin pour Léon. C’est aussi le propos de ce livre, linéaire, qui choisit de raconter une histoire insignifiante dans un décor de bouleversements mondiaux. Le tour de force est de faire que la petite histoire ne rencontre jamais la grande, comme dans une course asymptotique.
Un livre de cartes postales anciennes, de clichés, ça doit être ennuyeux ? C’est là que gît le petit miracle du livre d’Alex Capus. Non, ça ne l’est jamais ! La collection d’images nous est offerte avec tant de grâce, de charme, de naturel qu’on lit cette histoire de bout en bout, sans rechigner et en avouant, parfois un peu surpris, son plaisir.
Un délicieux album photos, à la manière du grand Truffaut.
Léon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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