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Le voyage empêché, Tassadit Imache (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 15.12.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le voyage empêché, Tassadit Imache, éditions Hors d’atteinte, octobre 2023, 135 pages, 15 €

Le voyage empêché, Tassadit Imache (par Yasmina Mahdi)

 

Perambulation

« Écrivaine discrète et pudique, Tassadit Imache ne cesse depuis plus de vingt-cinq ans d’interroger ce qu’il y a d’humaniste dans sa double appartenance. Née dans le conflit, d’une mère française et d’un père algérien, en pleine guerre d’indépendance, elle porte ces traces dans sa chair et naturellement dans ses romans » (Arezki Metref, Le Soir d’Algérie, 2010).

Tassadit Imache, née en 1958 à Argenteuil, a choisi pour son huitième roman un titre ambivalent, Le voyage empêché. Il s’agit en l’occurrence d’un déplacement limité dans l’espace environnant, un voyage désiré par une personne en retrait mais retenue par un mystérieux obstacle, suivi d’un retour à la nature à la manière de Thoreau. Ce qui fait écrire à l’autrice : « Tous ceux qui prétendaient franchir l’horizon sont assignés à quai par les lois des hommes ». Apophtegme toujours d’actualité. Tassadit Imache est travaillée sans cesse, en filigrane, par un retour vers l’Algérie, Tizi-Ouzou, la capitale du Djurdjura, le « Col des genêts ».

Notons que l’occupation française – synonyme de conflits armés, d’insurrections réprimées, de politique de la terre brûlée, de chocs – contribua à un exode rural massif des populations des villages kabyles vers Tizi-Ouzou. Tassadit Imache, elle, choisit une perambulation, qui la conduit vers le tombeau du père, tout en effectuant un ample détour par la Grèce.

Imache nous écrit des missives en prose poétique, puisant aux feux croisés de son existence. Par à-coups, de façon nerveuse, en archéologue, elle cherche des indices et retrouve des souvenirs enfouis, se remémore des rêves fugaces. Elle s’émeut devant des photographies ou durant l’enfermement dû à la pandémie, face à la télévision qui diffuse des récits-séries internationaux, l’ensemble se jouxtant à l’autobiographie romanesque de cette franco-algérienne. « C’est le monde qui entre sans frapper, clapote en VO au pied de mon canapé. Je me fiche des sous-titres ». Du tapis volant en Turquie l’on passe au « velours râpé du tapis rouge des escaliers » d’une pauvre concierge, des fictions télévisuelles coréennes aux dures réalités contingentes des travailleuses, des « sorties au Père Lachaise », immense royaume des morts, aux pérégrinations sororales puis à la plénitude d’une maison-refuge à la campagne. La jeune femme, casque aux oreilles, se promène dans la forêt, tandis que Paris, vieille cité de migrations, vocifère et (s’)asphyxie : « Dans les hauteurs de l’édifice, les arbres tètent l’oxyde de carbone du périph’ et sur les parois, les nuages palpitent indéfiniment ».

Dans un Paris morbide, il y a, en souterrain, des crimes, des tortures, des suicides, des « cas sinistres » comme les « preuves bleuies ou sanglantes de contrôles d’identité qui ont mal tourné ». Des êtres humains défigurés, fracassés psychologiquement, classés tels des indésirables – les trop pauvres, les inadaptés, les sous-couches de la population française, celles et ceux qui alimentent les faits divers du spectacle médiatique. Des scènes courtes sont éclairées à la lampe torche, mêlées à des bribes du passé et à divers personnages. Les départs, l’enracinement et le déracinement s’accompagnent de visions en puzzle par les vitres d’un RER : « Familières les fumées d’usines, déjà vus les terrains vagues, revenus les bidonvilles. Le béton est au défilé, en cubes ou en nappages, puis il y a des taillis, des fourrés et des suites de Lego où vivent en troglodytes les hyperactifs du pays (…) » ; jusqu’au refuge à la campagne où « il y a une falaise (…) et une caverne à la gueule grande ouverte ». Très loin des démolitions des barres HLM…

Tassadit Imache est reliée au monde à la fois proche et lointain de son enfance. Sa généalogie nous entraîne simultanément dans la contemplation des choses animées et inanimées. Le tout dans une écriture égrugée, débarrassée des scories anecdotiques.

 

Yasmina Mahdi

 

S’il y a un slogan des années 1980 que je sauverais, c’est celui crié et chanté par la rue française : « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ».



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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.