Le vent d'Anatolie, Zyrànna Zatèli
Le vent d’Anatolie, Quidam éditeur, collection Poche, 2012, traduit du grec par Michel Volkovitch, 56 p. 5 €
Ecrivain(s): Zyrànna Zatèli Edition: Quidam EditeurSympathiques petits livres pour un prix plus qu’abordable, la collection Poche de Quidam séduit d’emblée. Un beau chat bleu en couverture de celui-ci. Le Vent d’Anatolie est une nouvelle de Zyrànna Zatèli, tirée du recueil Gracieuse dans ce désert.
C’est un texte qui se lit d’un trait, d’une grande beauté, troublant, qui raconte dans une langue simple, très fortement empreinte de poésie, une étrange histoire d’amitié. Celle d’une jeune fille et d’une vieille tuberculeuse un peu folle. Mais est-elle réellement folle ou plutôt désespérément seule ? Isolée par la communauté qui craint sa maladie, mais la nourrit quand même par acquis, sans doute, de bonne conscience, elle meurt à petit feu dans sa maison, comme une pestiférée, brassant souvenirs et délires.
Un jour, la jeune fille qui est la narratrice de l’histoire, est chargée d’apporter à manger à Anatolie, c’est le nom de la vieille malade. La nouvelle débute ainsi par le trajet qui mène à sa maison, un bref portrait de quelques personnages de ce coin perdu au nord de la Grèce : Naoum le bijoutier qui met des pompons aux oreilles des chats et qui vend aussi bien des bijoux que des fusils de chasse, le souvenir d’une jeune fille morte à 17 ans dans un sanatorium, un boucher cynique, pétomane, coureur de jeunes jupons et ainsi, on arrive chez Anatolie.
« Je suis là » dit-elle sèchement, levant haut le menton. Puis elle tourna la tête et ajouta l’air songeur : « Gracieuse dans le désert… ».
L’auteur a une façon de traduire le regard de la jeune fille sur Anatolie qui donne le ton de tout ce qui suivra, on est un peu chez la sorcière du conte de fée. La maladie, la différence, la solitude donnent à Anatolie une sorte d’aura magique, à la fois inquiétante et fascinante.
« ses mollets luisaient comme la gélatine »
« Sa démarche et son corps lui-même avaient quelque chose d’oblique, une ondulation incessante et fascinante en forme de huit… huit… huit… ».
« Deux très grandes chaussures, presque autant que celles des clowns, vertes comme des poivrons et munies d’attaches rouges en corne ».
Peu à peu donc se tisse un lien entre Anatolie et celle qui vient la nourrir, qui brave les interdits en demeurant auprès d’elle et qui, dès la première fois, alla jusqu’à partager la nourriture à la même cuillère.
« C’est Anatolie, on s’en doute, qui eut cette idée imprévue de manger ensemble, issue d’un désir pas vraiment clair et généreux mais plutôt cruel : celui de partager avec quelqu’un, avec moi, le poids de sa solitude, de cette maladie qui la torturait ».
Parfois Anatolie souffre trop, délire ou se laisse aller à une certaine méchanceté, malice plutôt.
« Tu veux donc voir une photo rouge ? demanda-t-elle quand la terrible toux se calma. Tiens ! Et elle déplia le mouchoir, plein de sang… Voilà mes rubis ! Tu en as, toi, des comme ça ? »
D’autres fois elle raconte, son passé, son père, sa mère, sa sœur et son frère cadets. Bien qu’elle ne le montre pas, elle s’attache à cette enfant, la seule qui ose rester avec elle, les deux finalement ont une certaine bizarrerie en commun.
Un jour Anatolie parle du vent, ce vent qui devient parfois un homme et qui vient la chercher, la harcèle, mais elle lui résiste, alors il repart.
Elle l’appelait le vent (…) il avait toujours le dos tourné ; elle voyait seulement son omoplate gauche, nue, son cou, une partie de sa tête, puis rien que le torse – il devait être assis au bord du lit, à sa droite –, tandis que l’autre côté se perdait dans les ténèbres.
(…)
Comme il doit se sentir seul de n’être désiré par personne… C’est pour ça qu’il vient vers moi comme un sauvage. Comme un mendiant.
C’est que malgré tout, elle est solide Anatolie, elle en a vu dans sa vie, mais vient le jour où elle arrête de manger. La jeune fille continue de lui rendre visite, de rester avec elle.
Je précise que je n’ai jamais cru un seul instant que j’étais l’amie d’Anatolie par héroïsme. C’était ce charme surnaturel qui m’enveloppait quand je traversais sa cour, en arrivant ou en repartant (…). C’était cette image de la brume dorée, le premier matin, qui ne m’avait pas quittée depuis (…). C’était ses paroles, qui lorsqu’elles ne débordaient pas de méchanceté, étaient attirantes comme la nuit.
Elle sera là jusqu’à la fin, jusqu’à ce que :
« J’ai sommeil, dit-elle ».
(…)
Je me levai enfin pour partir. Le vent avait laissé la porte ouverte.
Et on referme le livre, non sans une certaine émotion, ébloui par cette histoire si simple, mais que l’auteur, grâce à un véritable talent de conteuse, réussit à rendre absolument envoûtante.
Cathy Garcia
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