Le trou de ver, Patrick Devaux (par François Baillon)
Le trou de ver, Patrick Devaux, Éditions Le Coudrier, février 2023, 76 pages, 16 €
Edition: Le Coudrier
Comme le souligne le préfacier de ce recueil, le « trou de ver » de Patrick Devaux se fait « puits de vers » – des vers courts dont le dessin d’ensemble, homogène, forme ici une ligne verticale, à l’image d’une chute que nous entamerions en tant que lecteur, avec l’auteur, pour tenter d’arriver « de l’autre côté des choses », de « l’autre côté des phrases ».
Quelle en serait la finalité ? Il s’agirait peut-être d’échapper à cet espace circonscrit, représenté par une simple route, où l’on se laisse surprendre par les deux phares d’une voiture – se confondant étrangement avec les « yeux jaunes » de la louve –, et d’un lac qui reste calme sous la lune. N’est-ce pas ici le lieu des angoisses ? Et une fois de plus, les mots/l’écrit ne sont-ils pas les meilleurs supports pour nous aider dans cet espace-temps où nous nous trouvons ? « un trou de ver / dans la nuit / ta main blanche le traverse / tu me tends / le poème ultime » (p.11) ; « j’ai tant écrit après / avoir si peu su dire » (p.40).
Sans doute le poète tente-t-il de se regarder en face, d’affronter la « louve », de se regarder en profondeur. Ainsi le démontrerait le dessin réalisé au crayon par Catherine Berael, qui figure aussi sur la couverture : le visage fascinant et énigmatique de l’individu montre un œil largement souligné de noir, comme marqué de cette profonde obscurité, derrière lequel la blancheur peut être atteinte. La vision du poète veut-elle s’étendre comme un trou de ver ? A-t-elle pour fonction de nous faire prendre un raccourci à travers l’espace-temps ? « autour du lac / les traces de pas dans la boue / se souviennent bien du demi-tour / et / du trou de ver / non franchi » (p.45/46). Les souvenirs épuisent et vident : « de l’autre côté des choses / il y a peut-être / cet arbre devenu transparent / d’avoir gratté l’écorce du souvenir / jusqu’à la lie » (p.48). Mais revient comme un leitmotiv cette phrase issue d’une chanson, What A Wonderful World, oscillant entre l’ironie et une reconnaissance sincère.
Il est facilement admissible qu’on attend de voir l’Autre se profiler au bout de ce puits : « L’adieu est un faux départ / comme un autre » (p.44).
Égale à ces poèmes « verticaux », une fulgurance semble traverser ce recueil, comme l’état d’une transcendance – on est poussé à aller au-delà de notre intériorité limitée, et seule, apparemment, l’écriture poétique peut le provoquer. Si la quête s’accompagne de cette volonté d’absolu, le poète garde sa condition humaine : au long de cette étape versifiée, le mystère et l’inquiétude se veulent continûment liés.
François Baillon
Patrick Devaux est poète et romancier. Depuis ses débuts dans les années 1980, ses écrits ont été publiés dans de très nombreuses revues et chez plusieurs éditeurs, lui permettant de remporter quelques Prix : Prix Poésie Sur Seine, pour Aire de départ (2006) ; Prix des Beffrois, pour La Main heureuse (2012)… On lui doit à ce jour une trentaine d’ouvrages, dont quelques romans et récits.
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