Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui, Pierre Adrian, Philibert Humm (par Lionel Bedin)
Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui, Pierre Adrian, Philibert Humm, juin 2019, 312 pages, 7,50 €
Edition: Pocket
Deux amis d’enfance, tous les deux nés en 1991, « majeurs mais pas tout à fait vaccinés », ont un jour de 2017 l’envie de faire un tour de France en voyageant sur les traces des frères André et Julien Volden, les jeunes héros du Tour de la France par deux enfants, le livre d’Augustine Fouillée (1833-1923), publié en 1877 sous le pseudonyme G. Bruno, célèbre manuel scolaire de lecture, de géographie, et de morale sous la IIIe République. Le projet de Pierre Adrian et Philibert Humm : « voyager avec ce petit éloge de la sobriété et de la prudence ; passer notre temps à le trahir ». Garder l’idée d’un voyage dans la France des régions, des monuments, des hommes, « à portée de la main », mais dans la France d’aujourd’hui. Les copains et la route plutôt que la Patrie, la maison et la famille. Et faire de ce voyage un « hymne à la promenade » plutôt qu’au travail ou à la morale civique… Bref, « on serait les Kerouac lorrains ».
Départ de Phalsbourg en Lorraine (La lorraine et ses « ruines de trente ans d’âge »). Pour un road trip plutôt drôle, en auto, une antique Peugeot 204, jusqu’à Clermont-Ferrand via Autun, Nevers, Saint-Etienne. Après une pause, séjour à Marseille, puis bateau-stop entre La Grande Motte et Agde, à bicyclette entre Agde et Toulouse, puis Bordeaux, en autocar dans l’ouest (Quimper, l’île de Sein et le « dernier resto avant les USA ») puis descente en Anjou, remontée vers Dieppe, Boulogne-sur-Mer, Lens, avant le retour en train jusqu’à Roissy et enfin à pied… jusqu’à Paris.
Quand on voyage hors des sentiers battus, par le chemin des écoliers, pour éviter les péages, mais surtout pour voir de près, les rencontres sont rarement banales, parce qu’on y croise des hommes et des femmes qui ont fait un pas de côté, par goût ou par nécessité : un patron de café ou un libraire atypiques, un artiste clown brocanteur, un marin-pêcheur, une interne d’hôpital, des « soldats du feu, du sang, des larmes et d’à peu près tous les emmerdements possibles », le patron d’une scierie qui tient bon et une boulangère qui est obligée de vous faire payer dans une machine qui rend aussi la monnaie. Histoires, anecdotes, rencontres, expériences composent ce récit. Une sorte d’état des lieux, mais au petit bonheur, sans statistiques ni analyses sociologiques, d’une France parfois « profonde », souvent décalée, alternative, plus ou moins dans la débrouille, mais pas toujours résignée. Partout quelqu’un a quelque chose à raconter. « Les villages que nous traversions étaient pleins d’histoires en dormance. Il fallait des conteurs et des voyageurs pour les ravir à leur sommeil ». Les deux voyageurs écoutent, regardent, échangent. Ils sont en immersion, mais un peu à côté. « Nous avions créé une sorte de monde en parallèle relié au monde en lui-même ».
Comme dans tout bon récit de voyage, on en apprend autant sur le voyage que sur les voyageurs, leur état d’esprit, à travers leurs émotions, leurs réactions. À deux c’est plus compliqué, mais c’est aussi plus rigolo. Surtout quand on rend complémentaire ce qui pourrait opposer. « Il (Pierre) était une plaie, j’étais le mercurochrome ». Et que l’on rédige les chapitres en alternance. Ainsi chacun peut rire de lui, et de l’autre.
Les chapitres (pleins de jeux de mots de potaches) mêlent souvent plusieurs sujets, comme ils apparaissent au regard des voyageurs, ou au hasard des rencontres et des échanges. Ce Tour de France « n’est pas l’enquête d’une commission parlementaire. Il n’était pas un reportage au long cours ou un voyage initiatique. C’était le besoin de voir la France avec des yeux d’enfant. Avant que ces paupières-là ne se ferment à tout jamais ». Ce récit, hymne à la promenade, à l’amitié, à la route, ode au réel, pourrait bien devenir un « classique » de la littérature de voyage.
Lionel Bedin
Pierre Adrian est l’auteur de La Piste Pasolini (éd. des Équateurs, 2015, Prix des Deux-Magots), et Des âmes simples (éd. des Équateurs, 2017, Folio, 2019, Prix Roger Nimier).
Philibert Humm est Journaliste littéraire à Paris-Match.
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