Le théâtre est anglais-2 (par Marie du Crest)
Kate Tempest opus 2, une pièce sans son texte, sans un livre. Glasshouse, une serre comme décor, comme une petite maison des expériences dramatiques.
Tempest trace un « script » à nouveau pour un trio de personnages comme dans sa première pièce (Fracassés) ; non pas un trio de vieux amis désabusés mais cette fois-ci, celui de ce que l’on nomme aujourd’hui une famille recomposée, chaotique. Ria est devenue mère très jeune, trop jeune. Jess, la fille qu’elle a eue avec son compagnon junkie, est entrée dans l’âge adulte. Ria désormais partage sa vie avec Paul. Et tout n’est pas simple entre eux. Tensions, tendresse, désirs de séparation. Kate Tempest envisage la complexité de la désintégration d’une cellule familiale, se refusant à mettre en accusation tel ou telle. Il n’y a pas de coupable ; la vie est ce qu’elle est, terrible, impitoyable et pourtant lumineuse à ses heures.
L’expérimentation de plateau que Kate Tempest retient nous ramène au théâtre des années 70, temps des remises en cause, des quêtes formelles et plus précisément au travail du brésilien Augusto Boal, fondateur du théâtre de l’Opprimé en 1971. Théâtre politique remettant en question l’équilibre du langage dramatique entre auteur, metteur en scène et spectateur. Contraint à l’exil par la situation dans son pays (juntes militaires), Boal poursuivit son travail en France. Selon lui, le spectateur (citoyen) ne doit pas déléguer son pouvoir, rester passif, mais entrer dans le champ de l’action dramatique, intervenant sur les situations, la logique des personnages. Il fonde l’idée d’un spect-acteur.
Kate Tempest élabore à son tour, avec Glasshouse, un spectacle dont la seconde partie arrête l’action initiale pour laisser place à des propositions venant de la salle et encadrées par un « joker », sorte de go-between entre salle et scène. C’est le Cardboard Citizens qui collabore avec Tempest dans cette tentative de forum theatre play. Ce qui, selon Tempest, est en jeu dans ce dispositif, c’est sa propre relation d’auteure avec le public, mesurer exactement quelle est sa place : how i handed my play over to the audience. Plus largement, elle apprend par-là, en qualité d’écrivaine, à cerner son rôle. Ce qui importe aussi dans l’approche de Glasshouse c’est sa dimension de théâtre ouvert à la fois par l’intermédiaire de comédiens venant du monde de la rue, des « sans domicile fixe », et d’un auditoire élargi par le principe d’une réalisation du spectacle dans des prisons, des centres d’hébergement… mais il n’est pas certain que ce schéma fonctionne parfaitement. Le spectateur n’a pas que de bonnes idées dramatiques en montant sur le plateau. Les critiques anglais n’ont pas été en général convaincus par cette entreprise.
Au fond, qu’est-ce qu’un texte de théâtre, est-il la Vérité inamovible de cet art de la représentation ? Combien de mises en scène s’autorisent à le modifier, à l’adapter, à le couper, à le renier ? Personne ne sait véritablement où il est. Dans la voix des comédiens, dans leur corps tout entier ? Peut-il d’ailleurs exister hors de la scène ? Quant au spectateur, agit-il lui aussi d’une manière ou d’une autre sur ce qu’il voit et entend ? Il réagit en riant, en s’émouvant à telle réplique ; il peut même fuir ce qui lui semble insupportable. Le théâtre a quelque chose à voir avec un équilibre fragile entre ces diverses strates.
C’est sans doute tout cela que Kate Tempest attendait de Glasshouse. Trouvant au bout du compte, d’une certaine manière, une réponse à toutes ces interrogations : revenir à l’écriture d’un texte de théâtre intégral avec Hopless Devoted, traduit en français par Inconditionnelles.
On peut voir sur YouTube des extraits de la mise en forme de Glasshouse (uniquement en anglais).
Marie Du Crest
Lire la première chronique le théâtre est anglais.
- Vu: 3028