Le Temps des secrets, Marcel Pagnol (par Didier Smal)
Le Temps des secrets, Marcel Pagnol, mars 2022, 264 pages, 8 €
Edition: Grasset
Trente-deux ans après qu’Yves Robert a adapté au cinéma La Gloire de mon père (1957) et Le Château de ma mère (1958), c’est Christophe Barratier, le réalisateur des Choristes, qui adapte Le Temps des secrets (1960), le troisième volet des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol. Certes, Le Temps des secrets et Le Temps des amours avaient fait l’objet d’une adaptation télévisuelle en 2007, mais la sortie sur grand écran est une belle occasion pour Grasset pour rééditer ce troisième volet dans une belle petite édition de poche agrémentée d’un cahier de photos du film – qui, ainsi que la bande-annonce, incitent à se dire qu’il s’agit d’une belle ode ensoleillée à une Provence et une enfance désormais révolues. Certains hurleront à la nostalgie, voire verront dans ce film des intentions fâcheuses, comme à chaque fois que le vrai en nous est célébré autrement que par le laid – laissons hurler les loups, et replongeons-nous dans Le Temps des secrets (avant d’aller le voir au cinéma avec des enfants dont l’âge oscille entre celui de Petit Pierre et celui du jeune Marcel, de Lili, son ami provençal, et d’Isabelle, celle avec qui il découvrira qu’aimer, c’est intense).
Se replonger dans ce livre, comme dans les deux volets précédents, c’est retrouver une naïveté désormais perdue, avec désormais des romans à destination de la jeunesse qui ne cessent de souligner à quel point la vie est moche, entre des parents divorcés, les réseaux sociaux qui font mal, la sexualité omniprésente et les différents palliatifs modernes destinés à empêcher de penser à tout cela. Zut ! tout cela, on le sait, et les gosses aussi le savent, merci, alors pourrait-on juste, sans idéaliser en rien la vie de Joseph, Augustine, l’oncle Jules, la tante Rose, Lili, et tous ceux qui forment le petit monde de l’enfant Marcel, se dire que la vie peut aussi être constituée de plaisirs et de valeurs simples ?
C’est d’ailleurs ce qu’apprend au fond Marcel dans ce troisième volet des Souvenirs d’enfance, lui qui en vient à mentir à son ami Lili par amour pour Isabelle de Montmajour, fille d’un poète passionné d’une boisson verdâtre à religieusement préparer – qui s’avérera Isabelle Cassignol, prise de colique comme tout le monde, fille d’un correcteur d’imprimerie aux folles espérances poétiques. Première déconvenue pour le petit Marcel, mais surtout retour de l’amitié avec Lili. Tout cela est beau, dans cet été passé parmi les collines du Garlaban à courir les pièges, à cueillir le thym, et surtout à vivre chaque instant avec intensité – au risque d’oublier que tournent les pages du calendrier et que bientôt la rentrée scolaire…
Puis c’est la découverte d’une autre vie, celle du lycée, d’autres amitiés, d’autres rituels, avec ces jolis mots : « notre patrie, c’était notre étude, sur laquelle régnait tous les jours M. Payre. […] La composition de l’étude ne changeait pas, comme celle des classes. Tous les jours, nous passions sept heures ensemble, tantôt au pupitre, tantôt dans la cour, et surtout, il y avait l’intimité du réfectoire ; les externes nous paraissaient étrangers, parce que nous ne les avions jamais vus à table… ». Puis il y a les farces, les bêtises, les défis lancés à l’autorité, les profs immuables aux surnoms au fond affectueux ; puis il y a le désir, exprimé par le petit Marcel, de se situer au sein du groupe, d’y gagner un nom – l’affaire Pégomas, avec sa conclusion très morale au fond, l’y aidera, à se faire « une belle situation ». On ne précise pas de quoi, car ce serait confondre le récit de Pagnol avec un quelconque récit de vantardise lycéenne ; ce que raconte Pagnol, c’est juste le désir d’exister, que ce soit dans les collines auprès de Lili ou au lycée parmi une bande de galopins attachants et futés au fond n’y change rien.
Pagnol, clarifions à nouveau, n’écrit pas par nostalgie d’une époque révolue : à cet égard, l’écart entre 1910 et 1960, bien que deux Guerres mondiales soient passées par là, ainsi que le réfrigérateur, la radio et la voiture, n’est guère significatif ; il écrit son enfance, en tentant de retrouver le regard qui était le sien alors, sans nulle ironie, avec une sublime naïveté, et libre à chaque lecteur d’y entendre la résonance de quelques souvenirs personnels ou d’un désir enfoui au fond de soi faute d’une enfance naïve, puis, pourquoi pas, d’offrir à ses enfants, au nom de ce qu’il y a de magnifique (« qui fait du grand ») dans ces Souvenirs d’enfance, et autant que se peut faire dans une époque désormais éloignée d’un siècle et de valeurs non pas disparues mais à dépoussiérer, bien plus qu’une séance cinématographique.
Didier Smal
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