Le Temps des immortelles, Karsten Dümmel
Le Temps des immortelles, mars 2017, trad. allemand et notes, Martine Rémon, 16,50 €
Ecrivain(s): Karsten Dümmel Edition: Quidam Editeur
« Ils ne viendraient pas. A quoi bon, d’ailleurs ? Il n’y avait rien à découvrir. Il n’avait cessé d’entendre les rumeurs les plus absurdes. Des récits différents selon chacun. A moitié vrais, en partie inventés de toute pièce : des policiers brutaux et des informateurs aux écoutes occuperaient des appartements vides ».
« Le but est d’atteindre un degré d’insécurité provoquant chez la cible l’impression qu’elle ne contrôle plus sa vie ».
Le Temps des immortelles est un roman glacial venu de l’Est figé de Berlin. Roman de surveillance et de désintégration d’Arno K. Le roman de l’Avenir Radieux sans masque. Arno K travaille à l’usine et écrit, quand il le pouvait encore, il voyageait, et ramenait de ses escapades quelques livres, autant de preuves accablantes : Chamalov, Kopelev, Kundera, Orwell, Pasternak, toute une littérature de renégats.
Il écrit entre les rouleaux de barbelés, les wagons rouillés, les rues et les impasses, toujours barrées, face à un panorama barré et des chemins grillagés, le passé récent devrait jouer en sa faveur, il s’est distingué de manière positive comme « jeune talent », mais il a montré très vite des dérives subversives. Mais il sera donc mis sur écoute, sous très haute surveillance politique et sociale. C’est le présent de ce roman saisissant et grandement stylé, un présent qui s’articule avec le passé et l’avenir. Aujourd’hui, hier, et demain, trois temps du roman, trois mouvements de l’histoire terrible d’Arno K. C’est le roman d’un procès que ne cessent d’instruire d’invisibles procureurs, cette police d’état invisible, qui fait écho à celui de son passé gracieux aux côtés de sa Grand-mère, un temps retrouvé dans son jardin, un petit bijou, cerné de fleurs et de feuillages qui respiraient, comme respiraient les histoires qu’elle racontait à son petit-fils, quant à l’avenir, c’est sa fille qui le porte, à la recherche du père disparu, à bord d’une vieille Deudeuche.
« Ici, à la clinique, l’idée s’était nichée en lui, que les murs et les plafonds avaient des yeux et des oreilles. Arno pensait que même l’eau voyait et écoutait ce qui se disait ».
« La cible développe une méfiance maladive à l’égard de ses collègues, amis et connaissances ».
Le Temps des immortelles saisit d’une manière éblouissante la mise sous haute surveillance d’un renégat, d’un dissident, sa mise sous écoute, et sa disparition programmée. Karsten Dümmel a le style de la situation, vif, coupant, taillant, tremblant, le livre mort et pique*, comme il éblouit et trouble par sa composition, touché par la grâce, dans les moments de bonheur que traverse Arno K. où lorsque sa fille tente d’en dessiner les traits. Le Temps des immortelles est un roman qui n’est pas près de faner, comme les couleurs des fleurs séchées, que sa Grand-mère conservait pour l’éternité.
« L’hiver était le temps des immortelles. Pour Grand-mère et pour lui ».
Philippe Chauché
* « Il me semble d’ailleurs que l’on ne devrait lire que des livres qui vous mordent et vous piquent », Lettre de Franz Kafka à Oscar Pollak, janvier 1904, La Pléiade, Franz Kafka, œuvres complètes, tome 3, Gallimard
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