Le temps des Capétiens (une histoire personnelle de la France), Claude Gauvard
Le temps des Capétiens (Une histoire personnelle de la France), PUF, 2013, 200 pages, 14 €
Ecrivain(s): Claude Gauvard
Dans la présentation de son ouvrage intitulé Le Moyen Âge (1987), le charismatique professeur au Collège de France Georges Duby prévenait : « Ma tâche est d’écrire le début d’une histoire de France ». Il interrogeait aussitôt : « Quand commence-t-elle ? ». L’académicien avouait alors humblement « prendre l’histoire en marche ». Ce pourquoi il restreignait son champ d’exploration à la « tranche du passé » la plus connue de lui. Elle se situait depuis la charnière de l’an mil jusqu’au XIIIe siècle en se limitant aussi à l’espace occidental européen.
Vingt-cinq ans après lui, la médiéviste Claude Gauvard aborde ce même cadre historique sous une manière de revendication originale. Mais après le Temps des cathédrales du même Duby paru en 1976, le présent livre de l’érudite, annoncé sous le titre Le Temps des Capétiens, ne saurait cependant détourner d’un immédiat soupçon d’emprunt ou même de réemploi. L’historienne éclaire ainsi de son intention : « Ces trois siècles ont façonné le paysage de la France. Je vais en rendre compte à l’aide d’une chronologie respectant à la fois le temps long de ces transformations, et le moment précis des scansions politiques » (p.7).
Prévenant les effets de la redite après quelque talentueux prédécesseur, Claude Gauvard s’efforce ainsi de se démarquer en déclarant : « … surtout, pas de révolution sociale, aussi forte qu’un Georges Duby ou un Robert Fossier ont pu le penser en leur temps » (p.12). Mais la distance prise grâce à cet argument suffira-t-elle à convaincre le lecteur d’un regard très neuf jeté sur ce temps annonciateur d’un Etat français ?
On le sait, la dame agrégée d’Histoire, longtemps présidente des jurys de ce concours, se situa toujours dans la lignée d’un Jacques Le Goff ou d’un Bernard Guénée, son prestigieux professeur. Nantie de la reconnaissance de ces plus illustres et de sa propre expérience, Madame Gauvard estima sans doute pouvoir encore intervenir sur un sujet bien connu d’elle, cependant déjà copieusement défriché. La modestie excessive de Duby lui-même n’y incitait-t-elle pas d’ailleurs ?: « Traiter en détail d’une époque qu’ont minutieusement étudiée Bernard Guénée, Francis Rapp, Jacques Le Goff, leur disciples, m’eût contraint de redire, moins bien, ce qu’ils ont dit » (Le Moyen Âge/Pluriel-Hachette/1987/p.7). Pour autant que se défende Madame Gauvard d’un « déjà vu » s’agissant de la saga capétienne mais sans convaincre absolument, la matière réunie sous sa plume dans cette étude d’un déploiement dynastique crucial retiendra néanmoins le mérite d’un agencement apuré et ordonné. Définir le point d’amorce puis la confirmation progressive de corps d’une entité géopolitique plus tard labellisée sous le sigle « France » résumera en effet la meilleure efficacité du propos engagé dans son Temps des Capétiens.
Une première partie du livre explore le temps des règnes des quatre premiers rois de la lignée montante (987-1108). Le déclic capétien se produit en amont de l’an mil et par le nord de ce qui est devenu géographiquement la « France occidentale », issue d’un découpage entamé au traité de Verdun de 843. Assumant une transition dynastique moins heurtée qu’on ne l’aura dit, puisqu’aussi il se voit élu, Hugues Capet devient alors l’initiateur de ce frémissant mouvement unificateur. Le premier accédant Capétien au trône n’est encore qu’un grand seigneur distingué parmi d’autres : primo inter pares, doit-on comprendre. Le fameux « Qui t’a fait roi ? », s’il rend compte d’une réalité de faits, reste toutefois pur produit de l’imaginaire selon l’historienne. La configuration géopolitique sous laquelle revient au roi de manière quasi théorique (et insignifiante pour les populations du Midi) l’étendue de son pouvoir résulte surtout des fragmentations héritées des tout derniers Carolingiens. L’intercession de l’an mil ne fait point peur et les séquelles laissées par les incursions normandes ne sont point aussi désastreuses que cela aura été dit : « En réalité, les ravages sont peut-être plus limités qu’il n’y paraît : en Picardie, deux documents seulement sur cinquante font état des envahisseurs » (p.19). Une croissance démographique est intervenue (population estimée à 15 millions), qui signifie l’expansion des économies, localement presque autarciques mais liées entre principautés résorbées dans une multiplicité contiguë : « un territoire en puzzle », nous dit Claude Gauvard. Le château bâti en pierre supplante peu à peu la motte castrale et ses constructions défensives en bois. La grande aristocratie traditionnelle, autrefois subordonnée au centralisme étatique s’émancipe d’un regard externe en revendiquant la propriété foncière et titulaire de son ressort. Imprégnés des modalités féodales, marquis, comtes ou grands et petits seigneurs pratiquent bientôt l’adoption héréditaire de leur charge, par filiation. A la tête du royaume, il en va de même. Cesseront ainsi les élections, de Robert le Pieux jusqu’à Philippe IV le Bel, en passant par Saint Louis. On voit même certains rois, à l’enseigne de Philippe Ier pour son fils Louis VI, introniser leur descendant direct avant leur mort. L’Eglise se reconnaît dans la Maison Dieu (chère à Iognat-Prat). L’institution régulière et séculière connaît une profonde effervescence, tantôt sous l’impact du monachisme expansif (Cluny), tantôt avec les agitations que suscite la réforme grégorienne. La paix de Dieu se transforme en trêve de Dieu. L’élan des croisades vient à la suite de cela, insufflé, d’abord par le pontife (Urbain II) puis par des prélats, évêques, abbés ou petites gens d’Eglise qu’une foi ardente transcende et transporte.
La seconde partie de l’étude est plus spécialement réservée au XIIe siècle. Un Etat centralisé se dégage sous l’impulsion des deux Louis (VI et VII). Leur autorité se conforte par suites d’échecs et de réussites (face aux Plantagenêt notamment), par une inexorable entreprise de suzeraineté conduite l’arme à la main ou à l’aide d’une diplomatie minutieuse auprès de grands seigneurs les uns après les autres finalement réduits aux hommages. Par ses foires et marchés, sa manière nouvelle de gestion communale, la ville connaît une activité rayonnante. De nouveaux critères de la pensée révèlent un mouvement intellectuel fructueux (Abélard), bien souvent issu de ce contexte d’urbanité (en lequel naîtra l’université), et si l’on fait peut-être exception du cas atypique de l’abbé de Clairvaux.
Les deux dernières parties du livre s’attachent à la montée en puissance du pouvoir monarchique, actionné par une machine étatique et administrative de plus en plus régulatrice et élaborée. Surgissent de ce temps la fiction symbolique du chêne de justice de Saint Louis, la persécution du Juif sous son règne pieux et croisé, les réponses monétaires apportées par Philippe IV aux conflagrations de son économie ainsi que le sort des flammes soudain réservé aux gardiens du trésor royal que furent aussi les Templiers.
Le choix d’esprit adopté pour le traitement de cette étude (une histoire personnelle) ne peut laisser indifférent de l’intention revendiquée. Depuis longtemps en effet – sans doute depuis Les Capétiens et la France de Robert Fawtier en 1942 –, circonscrire une aussi longue période sur la base d’une continuité dynastique amena toujours un débat entre puristes. Les co-auteurs de Les Capétiens, histoire et dictionnaire, paru en 1999, avaient de cela compris la gageure : « voilà un thème classique et donc un sujet à risques ! Comment peut-on s’aventurer, même à quatre, en pareille galère… » (1). Mais Claude Gauvard dévoile ici sans détour sa résolution et sa méthode : « Ces trois siècles ont façonné le paysage de la France… ». Selon ce principe et par allusion paysagère, la comparaison rapportée à la configuration de notre territoire actuel est ici clairement choisie. On le sait pourtant, cette référence suscita également entre théoriciens certains désaccords. Relatant cet inconvénient attenant au Moyen Âge, l’historien Jean Favier argumentait avec lucidité : « Bruges est plus présente à l’esprit du roi de France ou à celui du marchand bordelais que ne l’est Nice ou Cherbourg » (2). Dubitatif quant au recensement des événements selon l’ordre institué par le temps, Laurent Theis objectait de son côté : « Les XIe et XIIe siècles sont un temps qui se prête mal au découpage chronologique. (…) les actes du roi sont-ils bien, dans un royaume morcelé, travaillé de ferments de toute sorte, où l’autorité publique ne cesse de s’appauvrir, ce qui compte le plus ? » (3). Guidée dans son ouvrage par la succession événementielle, Claude Gauvard ne s’en est pas pour autant détournée de poursuivre sa tenace trajectoire.
Plus fournie que le bon vieux manuel d’Histoire de nos lycéens du milieu du siècle précédent mais à peine plus étoffé qu’un excellent Que sais-je de la même époque, cette publication de Claude Gauvard ne réunit en réalité guère de points de connaissance nouvelle ni de réflexions analytiques très inédites. L’auteur nous surprenait davantage dans sa France au Moyen Age du Ve au XVe siècle, parue en 1996 (4).
A l’Ouest, rien de bien nouveau !
« Pour être aimable dans le monde, il faut se laisser apprendre ce qu’on sait ! » disait cependant Chamfort à Talleyrand.
Vincent Robin
(1) François Menant, Hervé Martin, Bernard Medrignac et Monique Chauvin, Les Capétiens, histoire et dictionnaire, Robert Laffont, 199, Introduction p.VII
(2) Jean Favier, Le temps des principautés, Librairie Arthème Fayard, 1984, p.13
(3) Laurent Theis, Chronologie commentée du Moyen Âge français, Perrin, 2010, p.103
(4) Claude Gauvard, La France au Moyen Age du Ve au XVe siècle, PUF, 1996.
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