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Le tambour des larmes, Beyrouk

Ecrit par Theo Ananissoh 26.03.16 dans La Une Livres, Afrique, Les Livres, Critiques, Roman, Elyzad

Le tambour des larmes, septembre 2015, 240 pages, 18,90 €

Ecrivain(s): Beyrouk Edition: Elyzad

Le tambour des larmes, Beyrouk

 

Rayhana court. Sans s’arrêter ou presque. Par les dunes, de jour, de nuit, sous l’orage, s’abritant dans une grotte ou sous une tente de bergers charitables, échappant de justesse à un viol… Où va-t-elle ? Non. Que fuit-elle ? Les… siens. Le campement de sa naissance, sa tribu, sa mère, son oncle le Chef, ses amis d’enfance, bref tout ce qui aurait dû être son lieu de vie et de sécurité. Rayhana, belle, à peine sortie de l’adolescence, âme confiante, n’a pas vite compris son sort de femme. Elle a cru aux paroles tendres et furtives d’un jeune citadin. La voici enceinte avant d’avoir été mariée ; pire, d’un amant inconnu, nuitamment disparu comme il est apparu. Horreur ! Scandale ! Elle accouche en cachette, on lui arrache le bébé et la marie de force à un garçon naïf afin de simuler, preuve à l’appui, sa virginité. Les âmes rebelles sont en fait des esprits confiants et purs. Rayhana ne peut consentir à ce destin. Son bébé disparu la hante, ce qu’on a fait de lui la torture nuit et jour. Elle ne peut rester là, dans ce campement, dans ce monde. Elle s’en va, s’enfuit, s’évade d’eux, de tout, de tous. En emportant – geste de vengeance ? De rage ? – l’objet sacré parmi les plus sacrés de la tribu : le tambour tribal.

« Jamais le tambour de la tribu ne devait toucher terre, jamais des mains impures ne devaient l’approcher, jamais il ne devait quitter le cœur de nos campements, le tambour c’est nous, le tambour c’est notre présence, nos têtes relevées, notre voix (…) Et voilà, moi, Rayhana, la mauvaise, j’ai accompli le geste fatal, j’ai étranglé vos voix, j’ai châtré votre force, j’ai brûlé vos tentes, j’ai insulté vos aïeux et les miens, j’ai appelé à vous la honte, je me suis emparée de votre rezzam, le tobol sacré, et je l’ai souillé de mes mains de femme, de ma poitrine impure, et puis je l’ai laissé choir. Le tambour de la tribu a touché terre. Il va, si vous ne le reprenez pas, perdre la baraka première, ne plus gronder pour vous, ne plus avertir des dangers qui guettent, ne plus appeler les braves à la mort. Votre tambour s’est tu, parce que, moi, Rayhana, la mauvaise, la dévergondée, je l’ai conquis ».

Beyrouk propose un road-movie dans les sables de Mauritanie, à notre époque. Il s’en dégage, chemin faisant, un mélange de passé et de présent. On vit dans des campements déménageables à tout moment, on se définit par tribu ; mais on n’est plus à l’écart des véhicules et des gigantesques installations des ingénieurs en quête des ressources du sous-sol. Epoque troublée ? De transition ? L’esclave, même affranchie, s’enfuit pour la ville qui promet la liberté mais impose la prostitution. Beyrouk ne conclut pas, n’oriente pas. La ville, moyenne ou grande, est un « horizon à rêver », mais pas une destination forcément idéale ou apaisante. Là aussi, comme dit la belle quatrième de couverture, « se télescopent l’État et les codes tribaux, le tam-tam et le téléphone portable ». Où aller ? Que faire ?

« … je sentais que la course s’était arrêtée, qu’il n’y avait plus de route à emprunter, ni de dunes à escalader, ni d’horizons à rêver, et que cheminer encore c’était seulement blesser les autres, mordre toutes les mains qui se tendent ».

Rayhana est un personnage intense et réussi. A la fois fragile et courageuse, innocente et lucide. Dans des sables terriblement mouvants pour son jeune âge.

Le tambour des larmes, un récit en va-et-vient, en mouvement vers un droit élémentaire à la liberté ; une écriture vive et haletante comme l’âme de la jeune Rayhana.

 

Théo Ananissoh

 


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A propos de l'écrivain

Beyrouk

 

Beyrouk est né en 1957 en Mauritanie. Il a fait des études de droit et est journaliste. Il a créé en 1988 le premier journal indépendant de son pays. Il a publié deux autres ouvrages : Et le ciel a oublié de pleuvoir (roman, Dapper, 2006), et Nouvelles du désert (nouvelles, Présence africaine, Paris, 2009).

 

A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009