Le syndrome Tom Sawyer, Samuel Adrian (par Lionel Bedin)
Le syndrome Tom Sawyer, janvier 2019, 240 pages, 19 €
Ecrivain(s): Samuel Adrian Edition: Editions des Equateurs
Le Syndrome de Tom Sawyer est le récit d’un voyage à pied entre Paris et Jérusalem. En chemin le marcheur tient le journal de son voyage, journal qu’il reprend six mois après le retour, pour en faire ce récit, une « enquête sur ce jeune homme que j’étais et que je ne suis plus », et pour tenter de répondre à cette question : pourquoi suis-je parti ?
Les raisons supposées du départ : une envie d’ailleurs depuis l’enfance, le sentiment d’être « l’archétype de l’homme moderne habitué au confort », l’envie de « réapprendre le désir et, avec lui, le plaisir », se désennuyer. Surtout, pour Samuel Adrian qui se décrit comme un « enfant déçu du christianisme », c’est une crise de foi. Et il a cette conviction : « si tu ne peux plus prier, marche ». Alors il quitte Paris un matin de septembre 2017, à pied, léger, sans portable ni réseau, et « sans argent, pour démêler ce qui a de la valeur et ce qui n’en a pas ».
L’itinéraire : les Alpes, l’Italie, la Grèce, la Turquie, Chypre, Israël. À chaque jour ses joies et ses peines. À chaque jour ses paysages – ici « la terre est froissée comme un lit défait » – et ses rencontres – des personnes accueillantes, d’autres qui crachent au visage. Le marcheur apprend qu’en voyage, il faut être patient, qu’il faut choisir ses étapes et ses points de chute. « Avec le lavomatique, l’église est le seul endroit chauffé où l’on ne vous demande rien ». Et qu’il faut faire avec les surprises, bonnes ou mauvaises, les difficultés, le froid, la solitude, l’ennui.
Mais dans ce récit, comme dans de nombreux récits de voyage, l’important n’est pas le but, mais le chemin. En chemin, Samuel Adrian se pose des questions sur le sens de la vie, et sur un éventuel Créateur à l’origine de tout ça. Entre crise d’acte de foi hédoniste et désenchantement. Entre commandements bibliques (aimer son ennemi ?) et plaisirs simples : la vue d’un hêtre en automne comble aussi l’âme et les sens. Réflexions morales, religieuses, philosophiques : Samuel Adrian a emporté la Bible et le Gai Savoir de Nietzsche, dont il alterne la lecture, entre gravité de l’un et légèreté de l’autre, entre sagesse païenne et sagesse chrétienne. Ce qu’il cherche à comprendre c’est pourquoi il balance en permanence (comme peut-être chacun de nous) entre « le trésor dans les Cieux » promis dans le Nouveau Testament et la dernière illusion qui sort de la télévision, ou du catalogue Ikea (qui serait, avec la Bible, le livre le plus lu.)
Si Samuel Adrian se sent pris dans le cycle (éternel) du temporel et du spirituel, il est aussi confronté à une autre dualité. « C’est d’avoir trop joué à Tom Sawyer que je me retrouve comme un pouilleux sur les routes ». Les aventures de Tom Sawyer « sont celles d’un enfant : imaginaires et réelles ». Samuel Adrian navigue lui aussi entre illusion et réalité, confronté à l’éternel problème du voyageur face aux lieux et à l’idée qu’il en avait.
Samuel Adrian comprendra pourquoi il est parti, après ce voyage et ce récit très personnel, drôle et profond, bien écrit, qui invite le lecteur à faire un bout de route aux côtés du marcheur, et à discuter avec lui de la foi, du doute, du vertige, du sens de la vie. Bref : à trouver son propre chemin.
Lionel Bedin
- Vu : 5243