Le sport et la Grande Guerre, Paul Dietschy (par Jean Durry)
Le sport et la Grande Guerre, Editions Chistera, septembre 2018, 482 pages, 21 €
Ecrivain(s): Paul Dietschy
Dans le flot, la marée, des publications générées par le centenaire du dénouement de la première Guerre mondiale, celle-ci aura été l’une des dernières. Or le sujet justifiait effectivement d’être traité en profondeur. C’est le mérite des jeunes Editions Chistera d’avoir permis à Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Franche-Comté, de donner une forme définitive au travail qu’il a mené depuis une décennie et de le rendre accessible au public.
Nul doute que la période 1910-1918 ait marqué un moment dans la reconnaissance du fait sportif par la société française. Et ce n’est pas un paradoxe si une bonne moitié de l’ouvrage est consacrée à l’analyse du sport tel qu’il s’inscrivait dans le paysage et la vue de l’hexagone avant la déclaration du conflit. Car pour l’auteur, la Grande Guerre a permis et favorisé le développement des pratiques sportives, mais non pas une explosion inattendue ou peu prévisible par son ampleur ; il diffère en cela de Michel Merckel dont le 14-18, le sport sort des tranchées : Un héritage inattendu de la Grande Guerre avait défriché le terrain en 2012 (éditions Le Pas d’oiseau, 2ème édition revue et augmentée en 2013).
Attentif, on lui sait gré, à recenser les effectifs réels des sportifs tels qu’on pouvait les dénombrer en 1914 – soit quelque 200.000 membres de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA), répartis en 1714 associations et clubs, qu’il faut très nettement distinguer des 400.000 de l’Union des Sociétés d’Education Physique et de Préparation militaire, 400.000 des Sociétés de Tir, 300.000 de l’Union des Sociétés de Gymnastique de France aux objectifs et manières d’être en général très différents de ceux des sportifs de compétition, 150.000 de l’Union Vélocipédique de France –, Paul Dietschy s’attache d’abord à la nationalisation sportive de masse, à la place tenue alors sur le registre international, ainsi qu’à l’entrée en guerre du sport français et à la façon dont l’Armée au seuil du terrible conflit se situait et situait le sport. Il remet ensuite en question ce que le fut « le sport de guerre », à partir en fait de l’implantation et de l’enracinement de la guerre des tranchées, sport progressivement utilisé et officialisé comme « base de la sociabilité et du moral des troupes au repos ». Viennent alors l’étude de l’évolution du « front intérieur du sport français » où se poursuivent les luttes de pouvoir des différents organismes concernés ; celle de l’information sinon mensongère en tout cas trop souvent gonflée par une presse spécialisée cherchant essentiellement les moyens de sa propre survie ; celle encore de « l’internationalisme sportif de guerre » conditionné par les représentations de « l’autre » – particulièrement des Britanniques.
Les pages et la réflexion finale posent franchement la question : « Si le sport en général obtint des gains importants, notamment face à des pratiques physiques, plus anciennes comme la gymnastique, ne dut-il pas payer un lourd tribut en remportant une victoire à la Pyrrhus ? ». A travers ses deuils et les destructions des « organisations, [des] élans, des espoirs ». L’historien, tenté par l’uchronie, le « what if », tient que la paix maintenue « aurait davantage favorisé son développement que les quatre années [de] guerre ».
Pour Paul Dietschy en conclusion : « Les fondations du modèle sportif français avaient été posées avant 1914. Cet élan fut brisé net par l’invasion allemande même si [sa) vigueur lui permit de continuer à exister pendant la guerre. Le sport de guerre ne fut pas le fait d’une génération spontanée de sportifs sortis des tranchées ».
L’appareil de notes – en tout petits caractères, d’où une légère difficulté à les déchiffrer – et la large bibliographie témoignent, si c’était nécessaire, du long travail préparatoire à cette somme parachevée par cette profession de foi de l’auteur : « Le monument aux sportifs morts pour la France inauguré en 2016 à proximité du Stade de France devrait [comme le monument aux morts de Gentioux-Pignoles dans la Creuse, note 1359 et dernière] porter la devise : « Maudite soit la guerre ».
Jean Durry
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