Le sort fait aux femmes révèle la liste des peuples maudits (Kamel Daoud)
Farkhunda. Le prénom, presque, d’une terre. Ou d’un royaume ? Ou d’une légende ? C’est le prénom de la femme afghane lynchée par la foule, filmée, puis jetée au fleuve Kaboul, dépecée et brulée, il y a une semaine. Il fallait voir ces images sur Internet : des policiers qui se croisent les bras, un Afghan qui filme, une meute qui s’acharne sur une masse sombre : la femme accusée d’avoir brûlé un coran. A un moment, un homme arrive et se met à la frapper avec un seau. Un autre avec une planche. Poussière. Atroce. Sentiment de terreur et de honte.
Plus tard, quand retombera la poussière, le ministère afghan de l’Intérieur précisera qu’elle n’était coupable de rien : ni d’avoir brûlé, ou piétiné ou déchiré un Coran. Juste d’avoir été une femme. Farkhunda. On tente d’imaginer ses derniers moments, sa douleur sous le piétinement, ses cris, sa sombre solitude.
Puis on recule : cela est atroce et impossible à la fois de se représenter l’atrocité de l’intérieur. De la rage au cœur alors. Presque de la haine pour ces peuples. Il fallait voir ces images et cette horde d’animaux qui s’est abattue sur elle au nom d’un livre ou d’un Dieu. De la sauvagerie à vous faire vomir. De l’inhumain. Il fallait imaginer la vie de cette femme, dans ce pays vidé où les femmes sont traitées comme des organes honteux, une vie sans sens, sans liberté, sans désir, pour finir sous les pieds de ce troupeau, au nom d’un livre.
Le monde feuilleté. En Egypte : Essissi, le Général-président, accueille une femme qui a été obligée de se déguiser pendant 43 ans pour contourner l’interdiction « sociale » de travailler. Sisa Abou Daooh, 65 ans, admirable, nourrissant impotent et enfants. Une vie entière en clandestine sous sa propre peau, dans son pays, parmi les siens.
C’est l’état de notre monde : la femme sous la loi de l’enterrement du vivant. Partout chez nous la femme est coupable. De son corps, de sa féminité, de sa condition. Avilie, chassée, pourchassée, harcelée, accusée, honnie ou aliénée au point qu’elle se retrouve à haïr les autres femmes au nom de l’homme ou de Dieu.
Cela ne change pas : entre le sort de Sisa Abou Daooh, ou celui de Farkhunda jetée brûlée dans la rivière Kaboul ou celui des autres, il n’y a que des degrés de dépossession ou de lynchage. La femme est coupable et son procès est ouvert par la meute qui la lynche, les hommes qui lui interdisent de travailler ou ces rats qui, à l’APN algérienne, ont grimacé à propos de l’amendement de la loi sur le harcèlement sexuel (la femme étant coupable parce qu’impudique). Même sort, mort ou corps. Partout où on parle du ciel, on commence par piétiner la femme. Et c’est terrible.
Car JAMAIS un peuple ne marchera sur la lune, ne sera puissant, honoré et respecté tant qu’il traite la femme, sa moitié vivante qui donne vie, son lieu de désir et d’imaginaire, son champ d’amour et d’acceptation, comme une « honte ». JAMAIS un peuple ne connaîtra la paix et la puissance tant qu’il traite la femme comme un animal ou une esclave ou une impudeur à cacher. JAMAIS un peuple qui parle de la femme comme d’un préservatif vivant, ne connaîtra la sérénité, le partage et la quiétude.
Un peuple qui veut cacher les femmes, comme une honte, enterre la moitié de sa force économique, méprise la moitié de ses forces, ne peut prétendre être un peuple ou avoir un vrai pays.
Il sera une honte à vivre et une misère à subir. C’est la loi de la vie. Le sort de l’Afghanistan est dans le sort de Farkhunda. La misère de l’Egypte et dans le sort réservé à Sisa Abou Daooh. La tristesse et l’échec de l’Algérie sont à lire dans la bouche de ces députés islamistes qui ont accusé la femme d’être coupable « d’impudeur ».
Vous voulez lire l’avenir de certains peuples ? Regardez alors le présent qu’ils font subir à leurs femmes.
Kamel Daoud
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