Le soleil à mes pieds, Delphine Bertholon
Le soleil à mes pieds, 21 août 2013, 187 pages, 16 €
Ecrivain(s): Delphine Bertholon Edition: Jean-Claude Lattès
Deux sœurs, la grande et la petite…
Aujourd’hui, la petite est la plus grande des deux. Grande, très grande. […]. La grande, elle, est minuscule.
Elles ont grandi ensemble, comme des sœurs normales.
Elles ont vécu ensemble, mais cela n’était plus dans la normalité, des jours et des jours durant, près du cadavre de leur mère, cloîtrées dans leur appartement, et puis, une fois découverte l’horreur de cette macabre situation, ont été placées dans le même foyer jusqu’à leur majorité.
La majeure partie du roman, à l’exception de retours ponctuels sur le passé, se déroule alors que la petite vient d’avoir 22 ans.
La grande et la petite sont névrotiques.
La grande, secouriste, éprouve un plaisir morbide à regarder mourir les personnes à qui elle doit donner les premiers soins. La grande aime le désordre, l’entassement, les vieilles choses inutiles, la vaisselle sale dans l’évier, met les pieds sur la table, et jette son chewing-gum sur le parquet.
La grande se réveille quand les ténèbres tombent et rentre se coucher dès que l’aube survient. Elle travaille au Samu – les urgences nocturnes.
La grande n’a pas pour vocation de sauver les gens : ce qu’elle aime, c’est les voir morts. Elle aime que le véhicule de secours arrive trop tard. Quelquefois, raconte-t-elle à la petite, elle pompe l’essence à la bouche dans le réservoir en l’aspirant avec un tuyau. Sabote le matériel, crève les pneus…
La petite, a contrario, est obsédée par la propreté et l’ordre. Son appartement brille par sa nudité. Elle range, frotte, brique, lave et se lave sans cesse, et occupe toujours la même place au café.
L’eau chaude et la buée dissolvent le monde. Le carrelage bleu immaculé. Les parfums ambrés des gels douche. La peau lisse, blanche, parfaite, et puis les os saillants. Les poils disparaissent sous la lame du rasoir, partout. Redevenir un enfant, un fœtus, une graine, retourner à ce néant qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Se laver, c’est un peu s’effacer, s’annuler, se supprimer…
La petite est sous l’emprise de la grande, emprise oppressante dont elle souhaite, sans oser l’exprimer, se défaire. Vœu pieux en effet : la petite est velléitaire, incapable de prendre quelque décision que ce soit.
La petite espère intimement la mort de la grande.
Sombre histoire ! Destins sordides… et néanmoins plausibles, voire, terriblement, potentiellement réels.
Le roman est centré sur la petite, sur sa relation avec la grande, sur son rapport avec les quelques rares personnes qu’elle croise, et, plus rarement encore, avec celles à qui elle accepte d’adresser la parole.
L’auteure nous fait voir le monde tel que le perçoit ce personnage faible, fragile, quasi autiste, quelque peu anorexique, qui se recroqueville dans la chambre de bonne dont la grande paie le loyer.
Son angoisse permanente, paranoïaque, est communicative, conformément au dessein de la romancière : le lecteur, en proie à une étrange fascination, vit le mal-être de la petite, est lui-même mal à l’aise tout au long de sa lecture, et referme le livre avec de la nausée à l’âme.
Voilà un roman qu’on ne risque pas d’oublier trois jours après l’avoir lu.
Patryck Froissart
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