Le Soldat indien, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)
Le Soldat indien, éd. du Canoë, février 2022, 168 pages, 15 €
Ecrivain(s): René de CeccattyRomancier, critique, essayiste, biographe, René de Ceccatty a fait de sa vie un vivier littéraire. Il a passé au crible nombre d’œuvres du monde italien, de l’univers japonais. Il a tracé de grands noms (Pasolini, Morante, Moravia), la biographie, et a traduit sans cesse les œuvres de ces deux langues. Sa volonté de s’inscrire comme un écrivain de la mémoire littéraire l’a amené assez logiquement à s’intéresser à sa propre famille et à remonter le temps, avec la même rigueur, le même désir d’offrir au lecteur le fruit de ses recherches. Ainsi est né, il y a quelques années, Enfance, dernier chapitre, prospection intime dans les années de ses parents, de son enfance.
Aujourd’hui, c’est le même souci qui l’attise : évoquer dans un livre un ancêtre, un grenadier des Indes, issu du régiment de Lorraine, Léopold de Ceccatty, qui a passé quatorze années là-bas, avec sa famille, puis est rentré en France, dans le Jura. Maîtrisant les sources qui, peu nombreuses, ont évoqué ces guerres coloniales du XVIIIe, auxquelles son ancêtre a participé, l’écrivain s’associe directement, en entrelardant son récit d’un autre récit, celui qu’il fit sur les terres de son enfance en Tunisie, son quatrième voyage là-bas, sur les traces de ses ancêtres tunisiens, en quête de la villa où il vécut avec ses parents et son frère Jean, aujourd’hui rasée, en quête aussi de tombes, celle du grand-père Hamida, dans un cimetière profané, caché derrière des parpaings.
Ainsi ce sont deux récits familiaux qui se croisent, comme les cordages du bateau que prit Léopold pour rejoindre les Indes en 1757. Le livre qu’on lit est ce fruit, cet entrelacs, ces épissures nouées de faits, âprement recherchés car la profanation – comme l’oubli des ancêtres – est ressentie comme une vraie tragédie par l’écrivain mémorialiste. Le nom de Léopold a été quasi supprimé de toutes les sources quoiqu’il ait joué un rôle important à Pondichéry, et lors d’un procès retentissant où il dut témoigner à charge contre l’un de ses supérieurs aux Indes.
Le Soldat indien peut être lu comme une recherche aiguisée de ceux qui, au-delà des six générations qui les séparent de l’écrivain, ont joué un rôle important, mais dont l’écrivain ignorait l’existence même.
Léopold et sa femme Marie-Jeanne ont eu six enfants dont quatre survécurent. Ils ont emmené avec eux lors de leur retour en France une petite Indienne, Anjâli. C’est la seule entorse à ce récit des origines. C’est un personnage inventé mais l’auteur s’empresse de dire que c’est pour rejoindre une réalité, non retrouvée.
En France, dans le Jura, à Salins-les-Bains, la famille possédait une sorte d’hôtel-château, assez vaste, avec jardins. Le romancier y imagine des rencontres. Les lieux sont réels, c’est le Jura de Courbet, et deux peintres y peignent la famille et les paysages d’alentour. On est ainsi plongé dans l’atmosphère d’un retour paisible au pays.
Après tant de guerres, de conflits, voilà Léopold revenu au calme français de sa contrée. Sans l’écrivain, tout un pan de réalité historique et familiale serait resté vain, oublié, quasi profané de l’histoire.
L’écrivain a reconstitué l’époque, les gens, les nœuds d’une famille, et les liens de deux généalogies de l’Outremer, ceux d’Afrique et ceux d’Asie. La littérature est la seule à pouvoir réussir des quêtes insensées, celles de la mémoire.
Le livre indien de de Ceccatty est la preuve de la nécessité de la littérature ; grâce à elle, des êtres oubliés revivent, renaissent. Sous la plume brillante et rigoureuse d’un René, qui n’a pas oublié ses origines (avez-vous remarqué combien les René littéraires, de Chateaubriand à Bazin, en passant par Boylesve et de Ceccatty sont de grands mémorialistes ?).
Un livre intense auquel le lecteur reviendra.
Philippe Leuckx
René de Ceccatty, né en 1952 à Tunis, écrivain français, est l’auteur de romans, essais, biographies. Grand traducteur de l’italien et du japonais. Citons : Enfance, dernier chapitre ; Fiction douce ; Pasolini ; parmi beaucoup d’autres. Plusieurs récompenses littéraires.
- Vu : 1409