Le sillon des jours, Isabelle Lagny
Le sillon des jours, éd. Pippa, mai 2017, 88 pages, 15 €
Ecrivain(s): Isabelle Lagny
La première partie de cette seconde édition du « sillon des jours » est dédiée par Isabelle Lagny à son compagnon, le poète irakien Salah Al Hamdani.
L’écriture de la poète, comme elle l’a dit elle-même, « tentée par la narration », « est encore hantée par la concision et la simplicité ».
Ainsi l’est le texte incipit qui présente la rencontre amoureuse un jour de juillet. Moment de renaissance pour celle qui écrit, toujours remplie de tristesse, « ce monde m’a fait mal ».
Une suite de textes indépendants tente de définir l’amour et d’en expliquer les mystères :
Et oui Amour
c’est cela :
une forme dans la neige
un souffle sur le ventre
un pli profond dans la nuit
Puis la question se pose de la durée de cet amour né à la fois de la guerre et de la paix et que traversent « Le bonheur / les larmes aussi ». Mais il s’agit, avant tout, « d’habiter le monde » et de creuser, de toutes ses forces et grâce à la poésie, « le sillon des jours ». Isabelle sème alors autant de graines de vie que sont les petites touches pittoresques, les notations visuelles et auditives qui témoignent d’un précieux émerveillement :
Ce soir
dans le caniveau
j’ai ramassé une fleur
et ses pétioles tremblent
comme des seins dans ta main
sous le regard de la lune
Cette « fille de France » de l’après-guerre accompagne de son écriture Salah, l’exilé de Bagdad, celui qui a dit « le poète est le gardien de la lumière », et lui offre ces mots :
Et puis au fond
si le rêve était inutile
l’amour le serait aussi
« Ainsi », au milieu des trahisons, « l’aurore / Sera-t-elle toujours au rendez-vous ».
Après un ensemble composé de descriptions et de réflexions qui débouche sur une forme d’apaisement :
Un bâtiment vibre doucement
du ronflement de ses habitants
C’est dimanche
et qui s’achève en une injonction car chacun doit « sauver / ce qui lui reste d’humain » vient « Une forêt de signes », troisième partie de l’opus dédiée par l’auteure à sa mère dans le naufrage de la vieillesse. De la naissance à la fin de la vie se réduit la distance entre la génitrice et sa fille. Comme s’il s’agissait de préserver la mémoire, de retenir le passé puisqu’il n’y a plus d’avenir. Il reste, en effet, par exemple, « le parquet usé par notre histoire » ou « les chardons poussiéreux cueillis par moi il y a trente ans ».
Paradoxalement fait suite une magnifique et forte prise de conscience d’un futur possible :
Qui me dira
pourquoi j’ai reçu de toi
cet amour de l’horizon ?
C’est encore dans une parfaite concision que celle-ci, plus loin, s’écrit en une superbe image symbolique : « La rive / c’est au-delà de la fenêtre / du train ».
L’avant-dernière partie, intitulée « A l’envers de tout », insiste sur la douleur d’un présent crucifiant et sur la fuite des amants « dans une trouée de soleil ».
« Avril », pour finir, dédié aussi à Salah, magnifie cet amour lumineux « malgré toutes ces calamités » et la « Route rougie / dont il faudrait changer la couleur ».
Ainsi le recueil d’Isabelle, comme le travail poétique lui-même, est-il en soi une véritable rédemption et une épiphanie.
France Burghelle Rey
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