Le silence pour toujours, Stuart Neville
Le silence pour toujours (The Final Silence), janvier 2017, traduit de l’anglais par Fabienne Duvigneau, 316 p. 22,50 €
Ecrivain(s): Stuart Neville Edition: Rivages
Retrouver Stuart Neville et son flic préféré, Jack Lennon, c’est comme replonger au fond du gouffre le plus noir. On sait peut-être ce qui nous y attend, mais à chaque nouveau livre, il semble que l’obscurité se fait plus opaque, plus glaciale.
Jack Lennon va mal. Ce n’est pas nouveau pour ce personnage poissard, ambigu, violent. Mais son mal s’est encore aggravé. Il est en morceaux, au plan physique et plus encore au plan psychique. Il n’est peut-être pas (encore) fou, mais il flirte dangereusement avec les pathologies mentales les plus graves. Sa vie est un enfer qui tourne comme un cycle fatal : pour supporter la douleur (physique) il avale des antalgiques puissants – non prescrits par ordonnance – ce qui accroît sa douleur (mentale). Une descente en enfer vécue dans la solitude. Sa « compagne » du moment, Susan, ne veut plus de lui, n’en peut plus de lui. Elle a accueilli Lennon avec sa fille Ellen en espérant recomposer une famille (elle-même a une fille). Mais alcool, drogues, désespoir ont fait de Lennon une loque et elle n’en veut plus.
Etrangement, dans le pays de la Douleur, c’est une autre flic, celle qui va être chargée d’enquêter sur Lennon soupçonné de meurtre (eh oui, ça aussi !) qui va l’accompagner. Elle s’appelle Flanagan, une femme d’une quarantaine d’années à la réputation de dame de fer. Elle porte ce qui est encore un secret, même pour sa famille : un cancer du sein, qui la terrorise. Et c’est ainsi – cahin-caha - que ces deux cabossés vont finalement se retrouver pour dénouer l’enquête en cours.
Stuart Neville est un maître pour dresser – dans les codes classiques du roman noir – des tableaux infernaux. Lennon en est le centre mais les satellites – tous les personnages – valent leur pesant de douleur et de mal. Tous agissent (ou sont agis) selon des schémas surdéterminés par leur passé, leurs blessures, leurs rêves gâchés. Dans « les Fantômes de Belfast » déjà, la dimension tragique, celle d’un destin implacable, tissait le récit entier. Lennon est écrasé par sa poisse, depuis toujours, depuis l’enfance, depuis la mort de sa femme assassinée, depuis les dérapages violents qui l’ont marginalisé au sein de la police. Uprichard est le seul à l’avoir soutenu. Mais lui aussi arrive au bout de sa patience :
« Tu dois juste comprendre que je ne t’aiderai pas si tu ne t’aides pas toi-même. Depuis combien de temps, maintenant, es-tu dans ce trou que tu creuses toi-même ? Quand vas-tu toucher le fond ? Ta fille t’a été enlevée. Un flic te poursuit pour meurtre. Que te faut-il encore, Jack, pour que tu arrêtes de creuser ? »
Et Flanagan de débat aussi dans ce destin qu’elle ne maîtrise plus. Sa passion pour son métier de policière ne suffit pas à empêcher les assauts de l’horreur morbide qui la ronge.
« Ida demanda : « J’ai dit quelque chose qui vous a blessée ? – Non, pas du tout »
En même temps que les mots franchissaient ses lèvres, elle se vit avec une fulgurante clarté sur son lit de mort. Ses enfants qui regardaient leur mère dévorée par son propre corps.
Elle ferma les yeux, secoua la tête. Fort, comme pour décrocher l’image de son cerveau. »
Destin enfin – terrifiant dans les mémoires et omniprésent dans les romans de Stuart Neville : L’Irlande, sombre et sanglante, de la Guerre Civile, encore toute présente dans les mémoires et les corps. L’Irlande qui hante et qui fait honte.
« Mais avec quelques-uns de ses potes, ils ont voulu faire leurs preuves, me montrer à moi et aux chefs de la Brigade qu’ils avaient des couilles. Ils ont appelé une des sociétés de taxis catholiques, ils ont commandé une voiture qui est venue de Belfast-Sud. Du côté du musée, je crois que ça s’est passé. Bref, ils s’étaient procuré une arme quelque part, ne me demandez pas où. Ils ont attendu que le taxi arrive, et toc, ils ont abattu le chauffeur. »
Dans le dédale de son malheur, Jack Lennon trouvera-t-il un moment de rédemption ?
Stuart Neville nous offre de nouveau un roman très noir, parfaitement structuré et la belle traduction de Fabienne Duvigneau nous le restitue avec élégance.
Du noir, du grand noir.
Léon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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