Le sérieux bienveillant des platanes, Christian Laborde
Le sérieux bienveillant des platanes, août 2016, 132 pages, 14 €
Ecrivain(s): Christian Laborde Edition: Les éditions du Rocher« Le “Tarbais” c’est la Rolls du haricot, enfant d’une terre limoneuse, caillouteuse à souhait, juste ce qu’il faut d’argile. Si la terre avait été trop argileuse, la peau du haricot eût été plus épaisse, sa chair plus farineuse. Rien de tout ça, il est parfait, le haricot tarbais. Et s’il est si fondant, c’est parce qu’il n’a jamais cessé, en grandissant, d’avoir chaud au cul. Il a profité à fond, en effet, de la tiédeur des galets du gave ».
Le sérieux bienveillant des platanes ressemble au délicieux haricot « Tarbais », caillouteux à souhait, fondant comme l’accent qui l’habite. Un accent qui vient des cols pyrénéens où se postait l’écrivain pour voir passer avec son père les héros du Tour de France. Un roman qui a profité de la douceur des galets qui roulent sous sa langue, un roman qui a chaud au verbe. Roman « slamé », que l’on lit, comme l’on écoute les chansons gasconnes de Bernard Lubat, ou que l’on fredonne celles de Claude Nougaro, le boxeur troubadour de Toulouse. Le sérieux bienveillant des platanes est un roman du retour aux sources, au village, à Paulhac. Tom y vient pour enterrer son grand-père, son Pépé – un mot sans électricité, sans chahut, sans violence, un mot doux, une caresse –, sous les yeux et les mots de la douce Joy, sa princesse, clandestine, libre de faire ce qu’elle souhaite et de faire corps avec Tom. Un retour, et un passage dans l’accélérateur à particules des souvenirs, où les mots valsent en trois temps, les trois temps du roman.
« Le platane, chez nous, il est chez lui. Tu le vois sur le bord de nos routes, tu le vois sur toutes nos places. Regarde une église, Tom, à côté d’elle tu vois quoi, Tom ? Un platane ! Regarde un bistro, à côté de lui tu vois quoi ? Un platane. Les platanes nous disent ce que nous sommes, Tom, où nous sommes ».
Le sérieux bienveillant des platanes est un roman vagabond, une traversée de la France à la vitesse d’un vol de palombes. Un retour vers le cœur du volcan, Paulhac, où le narrateur a passé sa jeunesse, entre la douleur de la disparition de sa mère, les trahisons de son père, et les fugues avec son Pépé. L’ancien légionnaire, pêcheur de truites, grand siffleur de musiques de films – il s’installait sur la terrasse, il allumait une cigarette, et l’on entendait l’harmonica de Charles Bronson dans Il était une fois dans l’Ouest et les notes de Morricone quand on voit Claudia Cardinale, quand elle crève l’écran… – Pépé, qui préférait la compagnie des platanes à celle des hommes, a traversé la vie armé de noblesse et de silence, protégé des fâcheux, de la jalousie funeste, par son épouse, mais aussi la bienveillance des arbres et la joie partagée de son petit-fils. Le sérieux bienveillant des platanes est un roman de tribus, ces familles recomposées par le temps et les situations, où les malveillants n’ont point de place, un roman de la transmission, des passions et des gestes qui enfantent des mots, l’enfance est souvent celle d’un écrivain qui passe à l’acte.
« Tourtes, confits : heureux défunts de Lumac qui, la nuit venue, dans le cimetière paroissial, quand la lune dépose sur les tombes des copeaux de nacre, ripaillent, bambochent et gueuletonnent comme les vivants ».
Le sérieux bienveillant des platanes est ce roman des vivants et des morts, et tous les morts n’ont pas la même fin, il y en a que l’on accompagne et qui vous accompagnent, d’autres dont on se sépare, et qui ne méritent aucune attention, sauf celle des bêtes sauvages. Christian Laborde se pare d’une langue vivante, survivante, dirait-il, où les mots – la viande – sonnent et les phrases résonnent comme touchés, immergés dans le blues du Sud-Ouest, un blues du sud, tout autant solaire, que ténébreux. Un blues, les corps lancent et se lancent des défis, comme avec un ballon ovale, la béchigue en occitan. Dans la famille des écrivains, Christian Laborde joue à l’aile, il n’ignore rien des cadrages, débordements, des crochets et du raffut, son roman a des rebonds aléatoires, c’est notamment ce qui en fait sa grâce.
Philippe Chauché
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