Identification

Le séjour à Chenecé, Jean-Paul Goux

Ecrit par Anne Morin 20.03.12 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Recensions, Roman

Le séjour à Chenecé ou les quartiers d’hiver (3), mars 2012, 107 pages, 14 €

Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

Le séjour à Chenecé, Jean-Paul Goux

On ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir… un emboîtement, un meuble à secret. « Je n’ai rien trouvé » (p. 19) : lorsqu’il découvre dans un tiroir secret de la pièce dérobée, à demi cachée sous l’escalier principal, qu’il appelle « l’armoire », cette simple phrase, comme un défi à la curiosité de l’inventeur, Alexis pense que la vieille abbaye, devenue demeure familiale de vacances pour toute une tribu généalogique de cousins et de branches ramifiées, cache en son cœur une chambre noire, une pièce secrète jamais mise à jour, crypte ou souterrain insondable.

Le narrateur se met en abyme par un ricochet de mots, de situations :


(p. 24) : « Comment penser sans penser qu’on est en train de penser, par quoi l’on est empêché de penser à quelque chose de précis ? »

(p. 28) : « L’embryon de pensée qui aurait permis d’établir une liaison avec une autre pensée… (…) »

(p. 36) : « (…) et je ne doutais pas qu’en n’en disant rien Lucien n’ait souhaité lui conserver les vertus de son rayonnement alors même qu’il me suggérait qu’il le connaissait afin que dans le secret du silence nous partagions l’indicible secret ».

(p. 37) : « (…) un passage étroit vers une autre pièce, beaucoup plus petite… ».

(p. 60) : « Elle, Julie, les liens de ce lointain présent où je m’installais avec le présent qui nous était commun… ».


Il reste cependant, parfaitement immobile, pris de peur de sentir physiquement passer le temps sur lui, en lui, comme une épreuve, une vitesse d’obturation mal réglée susceptible de déboucher sur un flou, une non-reconnaissance. La rencontre avec Julie permet à Alexis de faire la mise au point. Julie qui est aussi – également – révélation et sidération : Alexis reste médusé par le regard pailleté de la jeune femme qui lui renvoie, clin d’œil à Méduse, sa propre image, approfondie par une descente en lui-même :


« Elle était là, dans la librairie vide, après le départ d’un client, je ne l’ai vue qu’au moment où elle se tenait en face de moi, tout près, ses yeux à la hauteur des miens, plantés comme une flèche dans sa cible » (p. 43-44).

« (…) elle n’est qu’une leurre par soi-même fabriqué pour détourner le regard de ce qui doit bien être pour vous terrible ou effrayant s’il vous a rendu muet… (…) » (p. 44).


Les images du vaisseau appareillant, mais aussi de la renaissance, de la floraison, du cycle, de la découverte, de l’appel se répercutent en écho, la photographie est omniprésente mais le vernis n’enfixe aucun contour, et l’alchimie :

« Autre chose m’apparaissait dans la vapeur mercurielle de l’émotion » (p. 79-80).

Le temps, pour Alexis, ne devient habitable qu’à la fois projeté et borné. Il devient alors son voyageur, non plus invisible mais « incognito ». Il n’y est pour personne, caché-trouvé dans ce jeu avec lui-même qui le fonde et le dérobe, dont il brûle les fondations, ne laissant dans le tiroir secret de l’« armoire », que la greffe-mère, le livre de sa vie. En vivant et certainement mourant par le biais, dans le secret à Chenecé – je ne sais… – en négatif, en négation, le silencieux Alexis prend des accents bibliques :« (…) et j’ai vu que mes arbres étaient beaux et je m’en suis réjoui » (p. 106).


« (…) j’ouvrirai le tiroir à secret et j’y déposerai ce manuscrit. Alors, j’irai dans mon verger » (p. 107).


Anne Morin


  • Vu : 3480

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Jean-Paul Goux

Né en 1948, Jean-Paul Goux, qui a longtemps enseigné la littérature à l’université de Tours, vit désormais à Besançon. Son œuvre romanesque est publiée par Actes Sud depuis 1995. Après la trilogie Les Champs de fouillesLes Jardins de Morgante, la Commémoration, la Maison forte, Le Séjour à Chenecé clôt la trilogie Les Quartiers d’hiver, entamée avec L’Embardée et qui s’est poursuivie avec Les Hautes falaises.

 

A propos du rédacteur

Anne Morin

Lire tous les articles d'Anne Morin

 

Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.