Le secret de la danseuse, Michèle Hayat (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Le secret de la danseuse, Michèle Hayat, L’Archipel, Ecriture, mai 2024, 176 pages, 19 €
Après avoir exploré l’enfance de Louis Armstrong dans La Trompette de Satchmo (2020), Michèle Hayat nous entraîne cette fois-ci dans sa Tunisie des années 1950, avec une finesse narrative qui mêle souvenirs personnels, suspense et fiction, rythmée par l’esthétique fluide et sans compassion de la danse. C’est l’histoire d’une profonde amitié entre Pia, douze ans, et Delphine, une beauté diaphane pleine de mystère. Pia se sent invisible aux yeux de sa mère, une femme oisive et frustrée. Pour rompre la solitude de sa fille, son père décide de l’inscrire à un cours de danse classique. C’est là que Pia rencontre Delphine, une camarade qui semble avoir tout ce qui lui manque : beauté, intelligence, espièglerie et un don inné pour la danse. Delphine, derrière son image d’enfant prodige, a une personnalité qui intrigue. « Si je n’avais pas la passion de la danse, je me consacrerais à la botanique. Je parlerais aux fleurs, mes histoires n’auraient pas de fin, pour qu’elles m’écoutent sans jamais se faner ». La jeunesse a toujours eu « l’intuition du temps et de la beauté », qui s’échappe mais qui s’exprime dans la légèreté de la danse.
Peut-on empêcher la beauté de se faner ? Le destin frappe parfois sans prévenir pour réveiller les faux-semblants. Cheville brisée (cheville qui est aussi le symbole de nos articulations avec les autres), secret révélé, Delphine disparaît pendant plusieurs semaines. Loin des verres en cristal de Bohème, des assiettes en porcelaine de Paris de ses parents. Tout est brisé, son avenir de danseuse, sa filiation, puisque maintenant ses parents lui ont tout avoué. La rumeur enfle : fugue, enlèvement ?… Les journaux s’emparent de l’affaire, laissant Pia dans l’incompréhension et l’angoisse.
Sur l’île de Zembra, le temps est suspendu. Protégée par sa nourrice, tel un Robinson Crusoé, Delphine digère les méandres de ses chemins de traverse, tout en claudiquant. Elle finira par sortir de sa grotte, aidée par son amie Pia. Les deux amies se reverront des années plus tard à Paris. Delphine y vivra une synchronicité qui la mènera vers sa légende personnelle.
Le roman nous offre une odyssée nostalgique dans le Tunis des années 1950, avec ses ruelles, ses maisons aux murs blancs entrelacés au « bleu Méditerranée », et ses villages pittoresques comme Sidi Bou Saïd. Il y règne une lenteur et lumière magiques, mais que l’on sent fragiles. Des hommes de goût, des artistes, y avaient élu domicile au début du xx° siècle. S’ouvrant sur la mer, de magnifiques palais de style arabo-andalou ont été édifiés, tel celui du baron d’Erlanger, un esthète européen épris de musique orientale. Peu à peu, ce paradis bleu s’efface au gré des évènements qui secouent la Tunisie pour s’extraire de la bourgeoise occidentale.
Michèle Hayat écrit avec une tendresse lucide, capturant les émotions complexes de l’enfance et de l’adolescence. Ses descriptions poétiques, comme lorsqu’elle évoque les aspirations de Delphine à retenir la beauté pour qu’elle ne se fane jamais, donnent au roman une dimension intemporelle.
Ce roman nous invite à réfléchir à la manière dont les secrets et les non-dits façonnent nos vies, et comment l’art nous aide à les sublimer.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Paru en mai 2024 aux éditions Écriture, Le secret de la danseuse est le deuxième roman de Michèle Hayat, née en 1939, après La Trompette de Satchmo (2020) qui exploite l’enfance de Louis Armstrong.
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A propos du rédacteur
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".