Le scalp en feu -IX- Décembre 2015 / Février 2016, par Michel Host
« Poésie Ô lapsus », Robert Desnos
Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et intermittente dont le seul sujet, en raison du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre un nombre indéterminé de fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les nécessités de l’instant ou du jour, ces fenêtres changeront de forme et de format, mais leur auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ne pas dépasser les dix à douze pages pour l’ensemble de l’édifice.
Lecteur, ne sois sûr de rien, sinon de ce que le petit bonhomme, là-haut, ne lèvera jamais son chapeau à ton passage car, fraîchement scalpé, il craint les courants d’air.
Octobre 2015 à Mars 2016
Michel Host
Sommaire :
I) La poésie ou « On ne m’y reprendra plus »
II) Recueils
Annie Dana, Pépins de Cupidon
Cathy Garcia, Trans(e)fusées
Gilles Plazy, Ciel renversé
Margo Ohayon, Poussières
Élie-Charles Flamand, Percer l’écorce du jour
Basile Rouchin, Détail d’intérieur
Anne Jullien, Terminus 2007, énigmes
Le Golvan Nicolas, Psaume des Psaumes
I) La poésie
On ne m’y reprendra plus. Et finissons-en. Si j’avais mieux cherché, j’aurais trouvé Aragon. Si j’avais plus de mémoire, je m’en serais souvenu. Ses « jeunes gens », une fois pour toutes, ont cerné les difficultés. Ils sont trois, le « premier » dit le poète, le « second » le poème, le « troisième » la poésie.
« Un poète c’est un poète à quoi voyez-vous que c’est un poète / En quoi vraiment est-ce un poète / À partir d’où peut-on se dire poète / À partir de quand / À quoi reconnaît-on qu’un garçon comme un autre un beau jour / Est un poète / La veille il ne l’était pas encore et voilà Poète / Étrange appellation non contrôlée il n’y a pas / De procès à qui sans droit en abuse […] Pourquoi diable a-t-il voulu ce garçon plutôt qu’/ Employé des contributions indirectes / Être poète il n’en sait rien […] Être ou paraître // Voulait-il donc plaire à je ne sais quelle pâle cousine / Plaire ou déplaire on plaît beaucoup en déplaisant… »
« Tu sais par cœur des mots patiemment que tu as mis / L’un près de l’autre où l’autre près de l’un paraît baroque / Jamais personne ainsi n’a fait se rencontrer les mots ensemble / Il y aura des gens qui te reconnaîtront à ces accouplements sonores »
« Un poème dit le second c’est un charnier […] Un poème dit le second c’est une place de province / Où des voitures de gitans sous les arbres sont arrêtées… […] Un poème dit le second c’est la neige des peupliers […] Et son silence est une menthe odorante quand on la fauche »
« CE QUE DIT LE TROISIÈME /// Un poète est celui qui fait des poèmes / Un poème est la forme que prend la poésie / Mais qu’est-ce que c’est qu’est-ce que c’est la poésie
Cette chose en moi cette chose en moi cette chose en dehors de moi
Et d’abord comme si c’était appeler les choses / Par un nom qui leur ressemble et qui n’est pas le leur / Et soudain comme si c’était appeler les choses / Justement de ce bizarre nom qui est le leur
[…]
J’ai souvent essayé de m’imaginer la poésie / Comme le poing fermé qu’on glisse dans une chaussette / Histoire de voir s’il faut la repriser / Ou la grimace d’un enfant à soi-même dans la glace / J’ai souvent essayé de m’imaginer la poésie / Comme la pêche à l’écrevisse / Un chiffon rouge entre les pierres du ruisseau / Ou l’étincellement nocturne d’un passage clouté / Dans une ville déserte / Ou le geste subit vers le ciel d’une charrette à bras / J’ai vainement essayé de m’imaginer la poésie »
Louis Aragon
Les Poètes, « La Nuit des jeunes gens », in
Œuvres Poétiques Complètes, vol. II, La Pléiade
Voilà. Tout est dit. Ou presque, mais encore, avec Cathy Garcia :
« La sensation d’être toujours en retard, ou trop en avance, allez savoir, mais en décalage permanent ça oui. C’est peut-être ça être poète, mais à vrai dire être suffirait, car les étiquettes collent mal ou collent trop, et elles ne servent à vrai dire qu’à rassurer le contenu du bocal qui nous sert d’identité ».
Revue Nouveaux Délits, n°52, avril-mai-juin 2015
Et avec moi, qui ne prétendais pas au dernier mot, mais tentais d’allier un ridicule prurit professoral au romantisme des cuisines et des jardins :
« Je me demande ce qu’est la poésie. Comme une femme le matin dans la cuisine entend chanter un oiseau et s’interroge. La poésie, plus que toute autre forme écrite, pour moi se définit par l’usage que d’elle-même elle exige. Il est des poésies qui, sous les miroitements du verbe, ne sont qu’heureuses redditions du poète à soi-même. Il en est d’autres où, à parler de soi, il nous suggère les combats sauvages qu’un homme digne de ce nom doit livrer : Baudelaire, Rimbaud, Char – même s’il m’agace –, et Cioran, oui, poète, auront été de rudes guerriers. Et Mallarmé, qui affronta les vertiges. Et quelques autres encore qui savent dire bonheur, rire, amitié, nostalgie. Je pense à Desnos, à Supervielle… La poésie porte aux armes, à la beauté vivante ».
Carnets d’un Fou, le 6 juillet 1999
Aragon, encore…
« J’appelle poésie un conflit de la bouche et du vent la confusion du dire et du taire une consternation du temps la déroute absolue »
Grenade, Le Fou d’Elsa, Œuvres poétiques complètes, Pléiade, vol.II
Comme on voit, la Poésie est une bien vieille chose, elle est du temps où l’on reprisait les chaussettes, et probablement de bien avant. Elle est dans le décalage, et sans doute encore un peu dans le chant de l’oiseau. Elle est apanage du Temps de l’Après comme elle fut Avant. Nous n’en parlerons plus, ou seulement dans un bond entre deux pages.
Michel Host
II) Recueils
Ils s’accumulent, pluie d’étoiles filantes, dans ma prosaïque boîte aux lettres. On n’est pas tenu de lire des poèmes nuit et jour, jour et nuit. D’en écrire, moins encore. Je fonde cependant de grands espoirs sur les espoirs et les forces de mes amis poètes du jour d’aujourd’hui, ma confiance en leur confiance, car chacun, chacune écrit à sa plus grande hauteur, dans sa vision, son âme, son cœur. Il faut à l’humain de l’âme et du cœur. Ils peuvent éprouver des chagrins, de vraies tristesses, de ces craintes de l’après, mais tous – ou presque – croient en la vie. Les mots sont les premiers pas vers la preuve humaine.
Michel Host
Annie Dana, Pépins de Cupidon, Rougier V. éd. revue ficelle (Gravures – Fraîches ! Élégantes ! Belles ! de Thérèse Boucraut), 31 pp., 9 €, novembre 2015, Atelier Rougier V., Les Forettes, F.61380, Soligny la Trappe
Simple comme une après-midi d’été : « Que me veux-tu / Toi l’insolent / Que je ne veuille aussi / Moi qui ne connais que l’écorce / Et non le noyau / Cupidon riait / Il pelait le fruit du pommier / Recrachait les pépins sur ma poitrine… »
Complexe comme la complexité : « Un ciel furtif sur tes silences / me console de n’être rien / qu’humer / d’univers clos / réalité tacite / nos jours doubles sans mémoire… »
Désirante comme la folie de désirer : « Tu es loin / et tantôt je t’invente / dans le paysage d’une étreinte / acharnée / où contre moi désirante / ton plaisir lutte / tantôt je te devine / pareil aux marées d’Avril / refluant… »
Affrontée aux mystères agaçants des contraires et des inévitables : « nous nous relèverons / un jour / parmi les arbres / un goût d’humus / entre les dents / ainsi que / le veulent nos baisers ».
Cathy Garcia, Trans(e)fusées, Gros Textes éd. (Dé/collages de C. Garcia, Furieux ! Mortels ! Mystérieux !), 40 pp., 9 €, 2015, éd. Gros textes & Association Rions de Soleil, Cave de Fontfourane, 05380, Châteauroux-les-Alpes, http://grostextes.over-blog.com/
Rêveuse, blagueuse, baladeuse : « Avant de m’endormir, octroyez-moi mon baiser de cristal, que je puisse aller saluer les pachydermes aux défenses d’émeraudes. […] C’est en toute quiétude que je ne fais nulle rature à ce texte savant. / J’étais déjà têtue dans l’utérus, malle à la dextre, à espérer n’importe quel joueur de yo-yo ou de balafon qui m’emporterait au Zaïre ou au plafond ».
Son naturel découvert, extension de la nature : « Je caresse mon chat, sa nuit de fourrure étoilée, à l’écoute des grenouilles invisibles, muscles tendus sous le caoutchouc vert, qui crient l’amour et le plaisir brut. Les feuilles grasses et brillantes de ces plantes vénusiennes chuchotent sous ma fenêtre. Tout est bien ».
Affrontée aux mystères insondés de la vie incompréhensible par définition : « Attendez qu’on soit mort / Écoutez un peu / Nous n’avons pas dit notre dernier mot / Nous n’avons pas tiré notre chapeau / La vie c’est plus que ça / Beaucoup, beaucoup plus que ça / Ça commence bien avant / Et ça ne finit jamais […] Le verbe est une spirale / L’ADN est une spirale / Ce qu’on avale nous avale / Tout ça me paraît normal… »
Dans un délire précieux tel un « inexcusable delirium » : « Cristal où êtes-vous mon amour ? / Améthyste nue correcte exhibée / C’est mon verre tige de l’amour / Rubis sexuel luit la nuit / Sous son chapeau de chagrin / Et les siamois sont d’été / Sous les nuits balisées de boues de lin / Crapule ovaire mité et chien perméable / Marin d’eau rousse, capsule le cul / Je suis tombée ! »
Fureur (ou autre chose ?) vers le « réel, intranquille » : « Un cœur / Qui soudain a des crocs / s’auto-dévore / Vendanges lycanthropes / À la vulve du monde / Ça m’aide la nuit / À raccommoder mes étoiles / À faire jonction / Émeute solaire // Au cadran j’ai rongé les angles / Les ai polis de ma langue / Pour en faire le cercle / Aléatoire / Non parfait / Le cercle rugueux / Du réel ».
Gilles Plazy, Ciel renversé, Ed. La Sirène étoilée, 45 pp., 2015, La Sirène étoilée, 13 Hent Ar Stankennig, 29910, Trégunc, et
lasirene.etoilee@ orange.fr / lasirene.etoilee.monsite-orange.fr
Inquiet ? Inquiétant ? En plongée profonde : « Noir amer pour une vie apocryphe dans l’étroit du ciel l’œil-silence éteint les abois // nos morts sous l’herbe témoignent d’un rien frémissant quand nous lissons les heures à l’approche du flou jusqu’à ouvrir l’instant saisir l’espace […] (Pierre haute)
Ariane es-tu encore ma sœur ? Ariane, Ariane… es-tu celle que nous rencontrions autrefois, « d’un amour blessée » ? : « corps dansant sur le cristal déni de l’originel déclin le poing lance des appels aux portes closes une larme se pose sur la main tendue ô jachères incomprises à l’épiphanie d’un cerisier ! // l’œil métaphysique est sans complaisance /// […] Ariane étrangère Ariane subversive complice de l’eau et du souffle Ariane enfant lumineuse innocente dans le jeu vertigineux du monde Ariane lance les dé Ariane danse ailée sur le fil de l’horizon dans le chant des météores ! » (Ariane danse ailée)
Ombres tutélaires et souffrantes, « la main d’un dieu… », et celle de l’ange !
« L’ŒIL QUI A VU CELA SANS NOM, Tombeau de Paul Celan, la solitude la solitude est sans chemin oiseau oiseau qui meurt d’une pierre jetée le sang d’Abel n’a pas fini de couler la mort est sans promesse patience au bord de l’abîme et deuil bardé de désir silence par-dessus les murs et Job qui danse dans la tombe l’oiseau mort parle encore l’oiseau mort irradie /// […] enfant de quel abandon tiens-tu la corde ? brûlure dans la mémoire cendres dans le sang en attente d’une floraison de lys ah que la main d’un dieu dans les dangers prenne la tienne !… »
« DERRIÈRE L’ÉTOILE, Tombeau de Nelly Sachs / […] ni la folie ni la mort n’obscurcissent le ciel en lequel brille la nostalgie et dans ta chevelure une fleur du Sinaï don d’Abraham pour celle qui se tient dans la nuit silencieuse du pays à jamais natal […] quel dieu tient la blessure ouverte ? […] dans la pierre l’enfant n’a plus peur cendres dans la plaine les chiens se taisent l’ange a élu l’enfant dans les braises l’ange a le visage de la source l’enfant boit ses larmes l’enfant est une âme solitaire le silence lui parle d’Ezéchiel l’enfant ne craint pas la mort dans la main de l’ange ».
Margo Ohayon, Poussières (Numéro errant), Éd. Le Nœud des Miroirs, 2009, 30 pp. (Le Nœud Des Miroirs, Caminel, 46 300, Fajoles
Rien qu’arithmétique ? Géométrie ? « L’hirondelle fend l’air en deux. / La verticale s’étend aussi loin que l’horizontale. / Dans le sillon du rationnel le cœur traverse en diagonale ».
Rien que rhétorique ? « La forme est le bord du fond. / Le verbe s’exerce au génie des formes ».
Rien que de la physique ? « Le vide donne la lumière. / La lumière a un droit inconditionnel de passage. / Le vide manque d’amour. / Un rai de poussière matérialise le passage du temps. / Il neige : l’origine redescend ».
De la sociologie ? De l’anthropologie ? « Le jour de sa naissance, heureux d’avoir quitté la nuit, son bébé blanc crie contre sa peau noire ».
Gnomiques :
Épreuves du vide et autres. « On avance au bord du vide sinon on stagne. / Par le vide vient le souffle et par le souffle le mouvement. / Face au vide l’enfant pousse un cri au dehors. / Vivre pour soi non contre soi. / Trop penser la destruction la suscite. / Chacun construit son sommet. / Le cœur unit le corps à l’esprit. / Qui connaît l’amour rencontre la contradiction. / Tirer l’union du désaccord. / Pour surpasser sa pensée rien ne vaut celle d’autrui. / L’être visite un lieu. / La passion est un soleil qui se lève et se couche en même temps, on ne peut la comprendre. / L’économie nous colonise / La pauvreté finit par devenir un luxe. / L’être recule devant l’esprit. / La vie regarde vers la joie comme une église vers le levant. / Si elle était moins destructrice la bêtise ferait moins peur… / Parvenir au vrai qui n’existe pas ».
De l’art et du savoir. « Par l’écrit le feu resté dans la parole des morts ressort par la bouche des vivants. / Si l’écriture n’appartenait pas au mystère l’homme l’aurait détruite/ Écrire ressemble à mourir un peu. / Le poète est l’oculus de sa nuit. / Devenir un escroc par conviction. / De certains regards on ne peut s’échapper. / Une fois la vase retombée, du fond remonte le silence ».
De l’extraordinaire quotidien. « Au ciel les martinets croisent le fer. / Trop de neige invite au sang. / Solitude, contrepoids de la neige. / Chacun a sa part du gâteau de la parole. / Tel un oiseau vient la parole. / Vieillard entre momie et sculpture. / L’eau du linoléum réfléchit les murs d’une tour qu’un prisonnier du songe érige. / Le téléphone sonne : « C’est Michel ». Elle répond : « Oui » sans reconnaître la voix. L’inconnu prévient « La petite est sortie ». / Le principe de l’eau rompt la glace. / Rouge à lèvres sur la cigarette, un rire renaît de ses cendres ».
Élie-Charles Flamand, Percer l’écorce du jour, Éd. Les Amis de la Lucarne Ovale, 2014, Recueil dédié à Gwen Garnier-Duguy, Illustrations diverses : Colonie de salpes (animaux marins) ; Le pavillon où méditer (peinture chinoises, XIXe siècle ; Gravure extraite de l’Anatomia Auri, de Johann Daniel Mylius (1628) ; Le regard de la pierre (Barytine et marcassite, Pologne), 50 pp., 15 €
Qui est-il ? La question n’a pas lieu d’être, on le verra dans la brève notice biographico-littéraire qui figure ci-dessous.
– Qu’écrit-il ? – Dans ce recueil ? – Oui, dans ce recueil…
Ceci : « Sous la gifle d’un vent sévère / Coup octroyé par l’Être durant sa floraison / La façade de l’instant vient de tomber en poussière » – Dehors, dedans ? Octroi des révélations successives ?
Ceci : « Maintenant / oui maintenant j’aimerai plus que tout / Lapidifier l’esprit / Pour entendre le chant sublime de la pierre » – Calcification et chant de la matière, ou celui des anciennes cathédrales debout ?
Ceci : « Les couleurs si spontanément malaxées / Enchevêtrent leurs harmonies / Puis intensifient sans cesse ces connivences / Tandis que la trompette laque la note / Monte vivre et volatilise / Même les très secrètes nostalgies // Dessous le rythme par sa rigueur agile / Enfin réussit presque à déifier le corps » – Délicate excitation musicale, quintessence du « son », les jeunes gens aujourd’hui aiment « le son » ! « Connivences » instantanées… relations neuves de l‘Être au sentiment, dans… par la musique (Le poème Saint Louis blues est dédié à Oliver Jackson P.M.)
Ceci : « La statique solennité de la blancheur / Falaise / Opposée à la langueur de la plage qui va s’élargissant / Cette estrade qui plonge dans l’amertume scellée de la mer / Écume / Au voisinage de nos gestes si frêles / Alors que pointes et tranchants des becs et des ailes / En rythme vont au vent de l’éphémère » – L’âme des paysages, des monuments de nature qui joint toute âme…
Et ceci : « La coulée du mystère / Plonge jusque dans l’eau patiente des souvenirs // Aussitôt le parc de l’acquis se clôt » – À l’abstrait se joint le concret, c’est la marque du deviner, de l’intuitif, de l’autresapience… et il n’arrête pas, le Poète-aurige de faire tourner son char sur la piste de ce monde.
Basile Rouchin, Détail d’Intérieur, Ed. Interventions à Haute Voix, Collages de Cathy Garcia, Préface (excellente !) de Marie-Madeleine Fragonard, Publié avec l’aide de la M.J.C. de la Vallée (Maison pour Tous de Chaville), 80 pp., 10 €
Contacter : Gérard Faucheux, 5 rue de Jouy, 92370, Chaville, Tél. 01.47.50.23.93. gerard.faucheux@numericable.fr
Une place au Soleil ouvre le feu : « État de siège. / Venir à la vie / Par le derrière. / Voir sa mère se jeter, une nuit / Tête la première. /// Déclarer sa flamme / Le cœur serré / Comme on débute une guerre, / La peur au ventre. /// […] Finir secrétaire de cabinet, / Rompu au barreau, aux hostilités / Comme aux affaires classées. //// […] Et terminer peut-être aux assises / Où attendent dans la nuit grise, / Un bourreau haute tension / Et l’ombre d’une chaise. – Le combat est mon repos ! – Don Quichotte ne fut pas le seul à le dire. L’évidence traverse le temps, les destins sont à voir de près. Seul le grand commerce, la honteuse finance, peuvent imaginer réduire l’homme à la stature du petit robot de l’Achat/Vente, des départs et retours de vacances amers quoique bien mérités !
Adoravoration : « Je vous aimais / Et mets vous étiez. /// […] Proie taillée pour être dépoitraillée. Est-il encore utile de vous amourhacher. Chère amie tendre, / Quand dans mon cœur ne reste de vous / Que des morceaux choisis ? – Sous les mots joueurs, les jeux d’horreur. La femme, les femmes payent le prix exorbitant des bons repas de la brute. Notre monde, il faut bien dire ! Basile Rouchin ne s’exonère pas du monde. Ne nous en exonère pas.
Bague attelle. « De mon père, / Tu obtins ma main. // De rose, mon avenir / Vira hématome. / Tu t’avéras vite déçu // Et j’appris par cœur / La force tes poings. – L’ellipse, le coup de taille ou d’estoc s’inscrivent dans la matière même du poème. C’est cela le style. Le sien. Mieux que litote, l’économie absolue des mots, l’absence de récit, de roman… mais tout est dit ! D’autres « thèmes » du monde où nous baignons paraissent dans le recueil, qu’on me pardonne de ne m’être attaché qu’à un seul ou presque. Basile Rouchin doit se faire sa nouvelle « place au Soleil », la Poésie y gagnera !
Anne Jullien, Terminus 2007, énigmes : Est-ce le titre ? L’éditeur ? Mystère ? Le bref recueil n’indique rien à leur sujet. Si l’on navigue mieux que moi dans les trucs-bazars-machins facebook, sites et blogs… on ira voir : http://ecritsanejullien.blogspot.fr/ ou http://annejullien.over-blog.com/
On a quelque chance de recueillir des informations, car Anne Jullien est bien présente sur les écrans ! Ce que j’ai pu trouver figure dans la notice biobibliographique, ci-dessous. Peu ! Le dessin de couverture s’intitule Brouillage rurbain, il est de la main d’Olivier Jullien (2008)… Quelques « énigmes », donc :
« Qu’attendent-ils ces oiseaux sur un toit ? » / Alignés trois goélands regardent / En ordre font le guet / « Protègent-ils de semblables amants. / Mais contre quel guerrier ? » [… et plus loin…] Cela n’empêche pas une voisine, / au-delà du jardin, de convier le vent à souffler sur le linge, sur l’heure, sur celui qui ne rentre pas… Une hirondelle, qu’est-ce que c’est ? » – Pour le vent, on croit savoir, mais les oiseaux, quelle est leur fonction exacte ? En ont-ils seulement une ? Pourquoi sont-ils là, si près des hommes, si près de leurs amours, de leurs tragédies perdues dans le cosmos ? Une hirondelle, oui, qu’est-ce que c’est ? Puissante énigme qui ne laissera de trace que dans les mots des hommes, s’ils sont attentifs…
« Les enfants ont un grand lit pour eux et sous leur ciel de coton les sorciers et les fées ne durent qu’un temps de rêve… » […] Les enfants tuent, fauchent et incendient, la gloire au cœur et le sang sous leurs paupières ». – Oui, ils font ces choses les enfants ! Ils ne peuvent s’en empêcher, il me semble. Moi-même… mais à quoi bon ! Puissante énigme des enfants assassins innocents, et pires s’ils restent enfants en grandissant ! Que fait le diable ? Où est-il caché, irréfutable, indiscernable dans nos plus beaux paysages ?
« Même si la mer est loin / Le ciel l’inaugure /// Juste après ce virage // Le ciel est un drap qui sèche au soleil et au vent /// Un papillon / Laura demande pourquoi il y a un papillon » – Plutôt que pour ne rien dire, Anne Jullien nous propose les mots qui disent que le Sens ne nous est pas donné, que notre inquiétude doit être et qu’elle est en effet, non pas invalidante, mais taraudante, ne nous laissant jamais en paix. À la fin, chacun fait ce qu’il peut et doit : « Je fais de la poésie je fais / fabrique de la poésie / la poésie j’oublie de regarder / le bleu froid de la fenêtre / dehors le bleu de glace du ciel / dehors je fabrique de la poésie… » Puissante énigme ! Dure honnêteté de cette « fabrication » inéluctable ? Certains s’interrogent, d’autres pas ? Énigme encore. Veulent-ils seulement digérer et dormir tranquilles ? Une petite fille demande « pourquoi le papillon ? » Mal ou bien partie, la petite Laura ? En tout cas on s’interroge : pourra-t-elle dormir tranquille demain, ou longtemps après ? Énigme sur énigme : Anne Jullien les enfante pour nous et nous garde attentifs.
Le Golvan (Nicolas), Psaume des Psaumes, sous-titré « J’écrirai lorsque, physiquement, les autres n’en auront plus la force… » Illustrations d’après le manuscrit d’Avranches, Ed. La Sirène étoilée, 45 pp., 2015, 12 €
lasirene.etoilee.monsite-orange.fr
13 Hent Ar Stankennig, 29910 Trégunc
Le « psaume » (du grec “psalmos”) est amplement présenté en ouverture du recueil. Cet air joué sur le psaltérion, sera accompagné d’un chant religieux. Les « Psaumes de Salomon » en témoignent, avec ceux de « David »… et d’autres personnages bibliques.
Nicolas Le Golvan nous annonce se situer dans un effort ultime, un isolement, et peut-être un recommencement du chant dans un ailleurs… : « … fossile promis / voix chacune tirée au fil / la gueule un soc alors perdu en terre / là derrière / là-dessous mes pieds / de gris / combien d’autres tassés / ici seul en vérité / alors seulement j’écrirai ». David ? Éloigné de l’abjection… Disparu de cet espace et de ce temps : « David, pauvre toi / Je n’ai pas de poème pour envelopper tes restes / Je n’ai pas ouvert de ces livres linceuls… […] je n’ai rien à te dire, ma mémoire est ici, dans l’abject aujourd’hui où tu es pourtant mort David // comment peut-on mourir ici ? /// au dernier crime / tu n’as pas même pensé à te couvrir de jolis mots » – Un détachement ? Un abandon ? Non, ce n’est pas suffisant. Un rejet donc, une exécration… Et pourtant un arrêt sur le Chanteur biblique : « … tu n’es pas matière, David / à gloser dans la fumée / tu es ma bouche en vie, ma langue humide, un crachat retenu car la soif dans la fumée tu épaissis la morve // tout se mange ici tout moque / te cracher ? / non, David / je m’exécute d’abord à ma soif et te tairai » – Affrontement ? À travers les temps, les âges ? En proximité cependant: « Me pardonneras-tu, David, d’avoir oublié l’amant que tu ferais aussi ? » Le profane est profanateur, en effet : « tant que tes chairs tiendront tant qu’il y en aura / vite l’aimé les pénètre d’un amour combien profane ». – Mise en doute, et en cause, c’est ici encore une affaire de sens et de valeur : « voici ma seule science, en ta déposition, David. / que valaient tant de livres ? » – Une facette supplémentaire de la seule question qui vaille. Conversation poursuivie au bord du gouffre : « tant que je te tiendrai David en distinction nous échangerons nos rangs dans ce sourire de fosse ». – Le sentiment qu’on éprouve est d’un chaos en marche, d’une fin de tout s’approchant, d’un inutile effort : « serais-tu mon roi, serais-tu mon frère, l’insecte ou le rat / seule ma chaux est prodigue et ne se souvient pas ». – Il y aura un vainqueur du combat : « Réglons nos comptes, David […] si je tope ta main, elle rompt ». – Mais quoi ?… à la toute fin, le désastre… l’effacement… Le monde de David préfigurait-il le nôtre, d’oubli satisfait et violent, de méconnaissance « mortellement » sûre d’elle-même. C’est mon sentiment. Parmi quels cauchemars naviguent les songes de Nicolas Le Golvan ? Chacun de ses lecteurs aura à se frayer sa voie propre dans ce Psaume infernal :
« Reste ma propre mort, David, elle se sait orpheline et ne t’appartient pas plus qu’aux racines de l’arbre
de nous elle emportera la mémoire au-delà des forêts car je n’ai pas failli dans l’ordre brutal des choses
souviens-toi longtemps à charge de nous deux car j’ai mieux à chanter que le poème des morts
je ne le connais pas ».
Brèves notes biobibliographiques :
Annie Dana se consacre au théâtre, à la mise en scène, aux ateliers d’écriture en milieux étudiants, carcéraux et professionnels. Dernières publications & travaux : Odysséa (pièce diffusée sur France-Culture), Roman & fiction aux Ed. Rupture : L’Oracle inversé ; Éblouie. En revues : Nouvelle Donne ; la Barbacane, La Sœur de l’Ange, Écrit(s) du Nord…
Cathy Garcia, artiste polyvalente, a donné des spectacles de rue (avec Les Plasticiens Volants, 1991-2003), a fondé la revue de Poésie Nouveaux Délits qu’elle tient en vie depuis 2003, se consacre à son art graphique multiforme. Ateliers divers, publie des notes de lecture dans La Cause Littéraire… A publié des recueils marquants : Trajectoires, Chroniques du hamac, Eskhatiaï, Les Mots allumettes, Salines… chez divers éditeurs (Asphodèle-Cardère-de-l’Atlantique/DLC/EncresVives/Clapàs…)
Consulter : http://gribouglyphesdecathygarcia.wordpress.com/
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/
et le site de La Cause Littéraire.
Gilles Plazy : Le poète réside en Bretagne selon toute vraisemblance ; il est d’une absolue discrétion quant à sa biographie. On doit pouvoir s’informer grâce à l’internet ; voir lignes introductives ci-dessus.
Il a publié Les Mots ne meurent pas sur la langue, chez Isabelle Sauvage, en 2014
Margo Ohayon : Elle voit l’image non encore apparue sur les écrans, pense la pensée impensée, énonce celle qu’ont en vain traquée Socrate et Lao Tseu, elle a la vision inconnue des philosophes, celle ignorée de la cartomancienne, d’André Breton et des chamans les plus affûtés. Elle erre dans les champs bouleversés du conscient et du difficilement discernable… Elle vit et écrit dans le Lot, fut un temps infirmière de nuit, connut la fragilité, l’espoir, le désespoir des humains, les confrontations de la vie et de la mort, la consistance du néant. On trouvera sur l’internet la somme considérable de ses œuvres : recueils, poèmes en revues, anthologies et correspondances. Actuellement aux prises avec un éditeur douteux autant qu’indélicat, elle travaille néanmoins avec constance à une entreprise poétique monumentale.
Élie-Charles Flamand : Qui est-il ? Sa renommée est d’être lui-même au secret de l’Atelier, dans le secret des minéraux, des eaux, des pierres et des esprits-âmes et des âmes-esprits. Au cœur vivant du monde. L’œuvre poétique est immense : Cf. À propos de la Poésie d’Élie-Charles Flamand, choix d’études, etc., à La Lucarne Ovale. Il reçut l’onction d’André Breton, d’André Pieyre de Mandiargues et de bien d’autres. De lui, ils ont écrit :
Marc Kober : son meilleur exégète actuel : « C’est un “périple acéré” que doit affronter en lui-même celui qui sait que de la “crypte charnelle”… monte le cheval de l’esprit » – « Lire un recueil d’E-C Flamand est un acte qui se conçoit seulement dans la durée : c’est un être transformé qui referme le livre ». – « Accroître l’acuité de sa perception de l’univers, tel semble être le vœu souvent manifesté dans son œuvre ».
Le poète Matthieu Baumier : « La poésie de Flamand est une marche d’alchimiste vers l’étoile. Un cheminement vers la lumière intérieure, la seule réalité qui soit réellement – et aussi la plus voilée » –« … poésie en avance. Des poésies qui annoncent le rôle de la poésie dans le monde de maintenant, un rôle en train de se lever ».
Basile Rouchin : Qui est-il ? Nul ne le sait (sauf ses amis, proches et parents, on le suppose). Nous sommes, selon toute apparence, devant son premier recueil, dont les poèmes se sont auparavant épars dans une bonne vingtaine de revues, certaines de renom et d’autres plus discrètes. Son excellente préfacière, Marie-Madeleine Fragonard, nous laisse entendre qu’il pourrait être « celui qui écrit des mots que les autres ne peuvent formuler »… ou encore, en tant que « symbole », « ce serait l’hématome, le sang captif, douloureux, réitérable, changeant, morcelé, camouflable ». Le blanc entre vers, entre strophes… une de ses marques, est un lieu où « il se passe quelque chose… : approfondissement, angoisse, découverte, résignation… » Et surtout : « Pas de lyrisme qui se satisfait de son propre envol. […] Poésie très loin des indignations véhémentes : le pathos est suspect, truqué, appel compassionnel détestable et vampirique adopté par les séries télévisées et les actualités où l’on se repaît du malheur d’autrui avant de l’oublier dans une indifférence bétonnée ». On (je !) n’ira(i) pas contre cette rare volonté de dire autrement, de ne pas se répandre en strophes dégoulinantes de beaux sentiments, de ne pas répandre le vent poétique convenable, le vers-myriade du bon faiseur, le poème au mètre linéaire comme s’usinaient autrefois les tableaux de sous-bois avec biches blessées, les couchers de soleil sous les ponts de Paris… mis en vente à La Samaritaine !
Anne Jullien : Dans la jungle des écrans, j’ai cueilli ce peu de chose : (Elle est) née à Brest en 1961. Vit (heureusement) à Porspoder (Finistère). Prix Paul Valéry en 1979. Parution en revues (Hopala !, Nouveaux délits, Interventions à Haute Voix, Décharge, Les Voleurs de feu, 7 à dire, Comme en poésie, Spered Gouez, Diérèse, Saraswati…). Parution dans l’anthologie « Femmes en littérature » chez Spered Gouez en 2009. Quatre recueils : Dans la tête du cachalot et Les yeux des chiens aux éditions Asphodèle ; Flottilles aux éditions de l’Atlantique. Terminus 2007, énigmes. Poèmes traduits en anglais-américain par Michèle Bolduc (professeur de français et de traduction à l’Université de Wisconsin-Milwaukee).
Peu pertinent, certes, de ne citer qu’un extrait d’article. Voici cependant ce qu’écrivait il y a peu Anne Jullien d’elle-même, le premier paragraphe d’un article intitulé fonctions vitales, publié le 24 Juillet 2015 in corps. Les experts le trouveront sur l’internet :
« Je ne suis pas une espèce curieuse, juste observatrice et observée par qui passe. Ce que je vois, je l’enregistre. Je me déplace dans les rêves, nus pied et sans bouger. Chose morte mais un peu vivante, dorée par le soleil placardé à la vitre, chauffée par le soleil collé à la vitre, brûlée par le soleil cloué à la vitre. Si je regarde dans un miroir flaque fond de casserole bouclier couvercle œil carrelage, je distingue une forme trapue, retournée sur elle-même, tête sans visage inclinée vers des hauteurs, yeux vides, on ne sait pas si enfouis dans la masse il y a il pourrait se trouver s’en extirper, des membres. Un langage articulé, non. Je me nourris de ce qui passe même l’oubli ».
Nicolas Le Golvan : Ceci, cueilli au passage : Il est né en 1971, a publié plusieurs livres de fiction, dont le roman Reste l’été (Flammarion, 2012). Et aussi : Dachau Arbamafra (Ed. Les Doigts dans la prose, 2012), Taravana (Ed. L’Échappée belle, 2015), Alyah (Ed. Alna, 2015). Et ceci, cueilli sur les écrans : « LE-GOLVAN est la tête chercheuse d’un autre, plus complet. N’a pas de bio. Est tout de même né, notamment en 1971. Fréquente les bonnes revues, notamment Dissonances. A aussi commis dans quelques mauvaises, notamment… Écrit avant tout : roman, poésie, nouvelle, théâtre. Lit impitoyablement. Se tait lorsqu’il n’a rien à dire ».
http://nicolas-legolvan.iggybook.com/fr/
Michel Host
Le 6/III/2016
« Quel poète d’aujourd’hui ne se reconnaîtrait pas dans ces paroles fiévreuses (*), peureux comme nous sommes devenus devant l’agressivité d’une civilisation technique apparemment toute-puissante, d’une culture de masse pour le moment étouffante, et surtout d’une mentalité matérialiste, bornée, accablante ? » (*celles de Benjamin Fondane, Magda Carneci, Manifeste pour Fondane, La Sœur de l’Ange, n°10, p.221
« Toutes les affirmations des poètes répondent en nous à quelque chose de vivant, à un trouble du cœur auquel nous reconnaissons la vie », Benjamin Fondane, Faux Traité d’esthétique, Plasma, 1980, p.14
Fin du « Scalp en feu 9 »
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