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Le rouge vif de la rhubarbe, Audur Ava Olafsdottir

Ecrit par Zoe Tisset 15.10.16 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, Zulma

Le rouge vif de la rhubarbe, septembre 2016, trad. islandais Catherine Eyjolfsson, 156 pages, 17,50 €

Ecrivain(s): Audur Ava Olafsdottir Edition: Zulma

Le rouge vif de la rhubarbe, Audur Ava Olafsdottir

 

« Dans cette position, la pluie coule directement de ses pommettes à l’intérieur de ses oreilles, muant peu à peu la résonance originelle de la nature en pression sur la tempe et bourdonnement dans le cerveau ». Agustina est une drôle de petite fille, au plus près de la nature, elle en comprend les pulsations et les couleurs. Elle sait se fondre en elle comme un animal, malgré ses deux jambes inertes. « Agustina avait mis au point une tactique pour entrer en contact intime avec la mer : comme un gymnaste au cheval d’arçon, elle se propulsait à la force des poignets par dessus les roches arrondies du rivage. Les jambes collées l’une à l’autre, telle la queue d’un petit cétacé qui laisserait son sillage sur le sable ». Agustina possède une compréhension du monde imagée qu’elle ne peut pas toujours traduire en mots. « C’est ainsi que naquirent les premières montagnes de mots, lesquelles comptaient de nombreuses strates. Celle du bas contenait le plus de mots, la suivante déjà moins et la plus haute n’en avait plus qu’un seul. Le mot culminant, le plus riche de sens, exige un temps de réflexion maximum ». A l’école, forcément, son professeur est décontenancé. Il s’en ouvre à Nina, sa mère adoptive.

« Sa pensée semble s’orienter dans plusieurs directions en même temps. Il lui manque une vue d’ensemble.

– Il y a une fibre poétique chez ma petite Agustina.

– Il indique une phrase. Un verbe dit ce qui se fait, s’est fait ou se fera.

– Il y a tellement de musicalité chez Agustina.

– (…) Quand elle inscrit des chiffres sur une feuille, elle les empile, les tourne en tous sens et fabrique toutes sortes d’entrelacs avec des pleins et des déliés, comme si c’était des étoiles filantes dans le ciel…

– Mais elle est toujours la meilleure en maths ».

La réalité apparaît à Agustina différemment de nous, plus dispersée, sans aucune synthèse. Alors pour avoir une vue d’ensemble, elle voudrait gravir la montagne et contempler le monde de son sommet. Elevée par la bienveillante Nina, elle n’a de lien avec sa mère, passionnée par les oiseaux, que les lettres qu’elle reçoit d’elle et celles qu’elle lui envoie. « Je voudrais pouvoir fourrer mes doigts de pied dans un frigo illuminé, comme on faisait à l’hôtel de Kimbalou. Mais il ne faut pas penser comme ça. On a tant de choses à la place (…) La mer me manque ; j’ai besoin de vagues pour balayer les pensées tenaces de la nuit. La bruine me manque aussi, au lieu de cette pluie qui tombe à verse des semaines d’affilée ». Nous sommes dans une île et le lecteur sent à chaque page, la mer, le vent, l’odeur de poisson. Agustina peut se perdre, mais il y a ce jeune garçon, Salomon qui veille sur elle. « Il lui prend l’une de ses béquilles et l’agrippe sous l’aisselle pour la maintenir avant de lui faire rebrousser chemin. La chaleur reflue aussitôt en elle et la marche lui devient plus aisée ». Livre tout en finesse qui dit ce que d’autres décortiquent scientifiquement, magie de la littérature.

 

Zoé Tisset

 


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A propos de l'écrivain

Audur Ava Olafsdottir

 

Le rouge vif de la rhubarbe est le premier roman d’Audur Ava Olafsdottir, traduit depuis peu en français. Audur Ava Olafsdottir est professeur d’histoire de l’art à l’université d’Islande et directrice du Musée de l’Université d’Islande. Elle a donné de nombreuses conférences et organisé plusieurs expositions à ce titre. Elle a aussi écrit Rosa candida (traduit en français aux éditions Zulma), après Upphækkuð jörð (Terre relevée) en 1998, et Rigning í nóvember (Pluie de novembre, traduit en français sous le titre L’Embellie) en 2004 qui a été couronné par le Prix de Littérature de la Ville de Reykjavík. Elle reçoit en 2016 le Prix littéraire des jeunes Européens pour son roman L’Exception.

 

A propos du rédacteur

Zoe Tisset

Rédactrice régulière.