Le règne du vivant, Alice Ferney
Le règne du vivant, 20 août 2014, 208 pages, 19 €
Ecrivain(s): Alice Ferney Edition: Actes Sud
Ce récit aurait pu commencer par « Appelez-moi Gérald », à l’image de l’ouverture du Moby Dick d’Herman Melville, « Appelez-moi Ismaël », tant le souvenir du capitaine Achab revient irrésistiblement au lecteur. Ce n’est pas seulement parce que le récit tourne autour des baleines et de leurs chasseurs, mais aussi par la puissance du personnage central du récit, le capitaine Magnus Wallace. Celui-ci est par contre un chasseur de chasseur qui navigue de par le monde pour harceler non les baleines, mais les industriels qui arment de gigantesques navires usines qui tuent les grands cétacés au mépris le plus total des accords internationaux, avec la plus totale passivité, quand ce n’est pas avec la complicité, des autorités nationales.
Gérald Asmussen est un journaliste norvégien qui fait le choix de suivre dans ses expéditions l’activiste écologiste radical qu’est le capitaine Wallace. Un capitaine militant qui dérange avec ses méthodes qui ressemblent beaucoup à celles adoptées par les activistes de Greenpeace : radicale mais fondamentalement non-violente, ou plutôt contraignant leurs adversaires à faire état de leur violence quotidienne.
On peut trouver d’autre parallèles entre Le règne du vivant et le grand œuvre de Melville, notamment le détour par un narrateur embarqué, le mystère et la légende qui entourent le capitaine et son apparition soigneusement préparée, par son comportement et son destin hors normes dont l’origine s’ancre dans son histoire autant que dans celle d’une époque. On y retrouve la dimension héroïque et l’absence de concession qui relève d’une sorte mystique de l’engagement.
Mais l’écriture et le récit restent ceux d’Alice Fernay, avec un rythme qui lui est propre, une richesse lyrique et un discours résolument tourné vers l’écologie (et non vers l’aventure et la métaphysique, comme son aîné). On peut même être un peu surpris par ce roman, à la fois relativement court mais pas forcément modeste dont le ton n’est pas vraiment celui de l’argumentation écologique militante et plus ou moins raisonnable, l’auteure semblant avoir embrassé la passion et la résolution de ses personnages. Un livre un peu à contre courant dans le PLF (paysage littéraire français), qui navigue quelque part sur les grands fonds du goût américain des grands espaces, ici ceux des océans, et abandonne résolument les histoires d’égo nombrilistes et leurs pseudos subtilités socio-psychologiques. On ne boude pas son plaisir et l’on ne peut rester complètement indifférent aux questions soulevées et qui nous sont posées sans détours.
Marc Ossorguine
- Vu : 5999