Le Refuge des étoiles, Les rêveries d’une réceptionniste à l’hôtel La Louisiane, Charlotte Saliou (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Le Refuge des étoiles, Les rêveries d’une réceptionniste à l’hôtel La Louisiane, Charlotte Saliou, Editions Blacklephant, 2023, 237 pages, 16,90 €
Le Refuge de étoiles invite à s’égarer délicieusement dans le labyrinthe des rêveries d’une réceptionniste de l’hôtel La Louisiane (surnommé Hôtel des infidèles dans la chanson d’Etienne Daho et le Chelsea Hotel version parisienne par Frédéric Beigbeder qui a réalisé la préface de ce livre et pour qui l’hôtel est sa deuxième maison).
Saint-Germain-des-Prés n’est pas un quartier comme les autres, il y règne une atmosphère insulaire, surtout dans l’imagination incandescente de Boris Vian. Mais il s’agit d’une île sans utopie : « Les valeurs y sont parfois inversées. Et le Bien fusionne avec le Mal au point de créer de beaux mensonges et des réussites mythomanes très charmantes, surtout en soirées ». Charlotte Saliou réussit à transformer ce quartier mythique en une aventure surréaliste, avec une géographie réinventée et alchimique.
Vu de l’hôtel La Louisiane et par le cerveau de l’auteure, le ciel parisien n’est plus le même. Le gris se transforme en un bleu océan. « La Louisiane est un poème, son élégance est encanaillée. Il est naturel qu’il ait pu traverser toutes ces décennies, puisque les modes de pensée et de création ont pour point commun les failles qui ouvrent les espaces à la liberté ». La liberté se pressent sur l’océan bleu de la terrasse secrète de La Louisiane. Les rêveries y sont infinies et puissantes. On y rencontre les fantômes de personnages hauts en couleurs (et bien réels) qui ont donné une âme à cet hôtel centenaire. Frédéric Beigbeder confie dans la préface qu’il y a rencontré « une famille de colocataires baroques, des camarades poètes et des artistes décadents ». Oui, l’hôtel a ses secrets, comme les élucubrations abracadabrantes de l’auteure, qui telle une Alice au Pays des merveilles, saute à pieds joints dans un conte aux multiples portes : chambre 10, Juliette Greco, chambres 58 et 77, Albert Cossery… Puis celles de Simone de Beauvoir, Sartre, Étienne Daho, Tarantino… Les âmes artistes s’y sentent chez eux. Même Arthur Rimbaud y aurait séjourné…
Cet hymne à Saint-Germain-des-Prés nous emporte dans une douce nostalgie, cette époque où les murs et les personnes étaient en vie et dansaient leur gaieté. Le jeu d’eau de Juliette Gréco a été immortalisé dans la baignoire de la chambre 10 dans une photographie des années 50 qui s’amuse encore dans le petit salon de La Louisiane. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans », et surtout quand on pénètre dans l’univers de La Louisiane à tout âge. Les visiteurs sont « auréolés de talent, effarouchées par l’ivresse et l’art ». Quand Albert Cossery est décédé, La Louisiane a perdu un de ses murs. C’est le valet de chambre qui a découvert le corps de l’écrivain franco-égyptien qui a vécu toute sa vie dans la chambre 58, puis dans la 77.
Des rêveries qui transforment Paris en un joyeux kaléidoscope
Ce livre explore l’exceptionnel des petites choses de la vie… « La jolie musique des bracelets aux poignets d’une femme », les machines à laver des fantasmes, les « Pablo » d’un soir, la liberté artistique et les chambres d’hôtel, antres de nos imaginaires fertiles.
Même les épisodes ennuyeux de la vie créent des courbes ondulantes « qui suffisent à donner du rythme aux heures perdues ».
Mais, peut-on réellement s’ennuyer dans les fantasmes des murs d’un hôtel et l’ombre de l’imaginaire des artistes de l’après-guerre ?
Un brin surréaliste, un brin existentialiste, l’auteure s’affranchit des carcans et laisse ses rêveries animer les décors parisiens. Même un mur sale est un prélude à l’imaginaire : un simple trou sombre, un défaut de forme, un rien l’absorbe. Le trou se transforme en tunnel, comme un immense toboggan vers les souvenirs. La réceptionniste s’imagine les bras le long du corps, se sent plus légère et s’aventure dans un étroit couloir… « J’y ai nagé une brasse imaginaire en défiant requins et gros poissons. Le tunnel était à présent derrière moi, je me retrouvais sur les berges d’un lac, plein d’ossements, un cimetière profané où des corps disloqués s’étalaient sur le sol, en amas et en montagne ». Parfois les rêveries se confondent avec des hallucinations surprenantes, créant une ambiance insolite et pleine de mystère.
Même si La Louisiane a été un repère d’artistes seventies parfois déjantés, l’auteure livre un regard distant et ombrageux sur les amours lâches, les jeux de folles amazones sans lendemain, sans réciprocité. Non, la vie rock’n’roll ne peut pas ressembler à ces boîtes à souvenirs de capotes usées… L’amour se doit d’être élégant, sincère (au moins quelques douces heures), voire surréel. Avec l’amour, les visages sont plus beaux.
Une fois ce livre refermé, on sourit du voyage accompli, d’avoir côtoyé les étoiles, et nagé parmi cette géographie attachante de l’île du 6ème… Le ciel gris parisien a définitivement changé de couleur, il devient nacré, mais surtout caméléon à l’image de toutes ces chambres d’hôtel qui abritent une infinité de couleurs d’âmes. Et on s’endort avec l’impression d’avoir vécu un rêve surréaliste à l’époque de Beauvoir et de Sartre…
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Après des études de Lettres et de communication, Charlotte Saliou travaille à l’Hôtel La Louisiane depuis quelques années et y organise de nombreux évènements artistiques et littéraires. Le Refuge des étoiles, Les rêveries d’une réceptionniste à l’hôtel La Louisiane est son premier livre.
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