Le récit d'un arpentage
Ou les travaux du promeneur
Je sais marcher. Je sais déambuler. Oui, choisir une rue plutôt qu'une autre. Je sais cheminer, aussi, dans les sentiers. Et, ces marches sont des travaux pour moi. J'y réfléchis, et si je suis accompagné, je disserte. J'aime donc aller pour faire discours. Par exemple, en poursuivant lentement sur l'avenue qui longe les voies ferrées. Ne pas savoir. Divaguer. Juste à l'écoute de l'amble de la marche. Donc, me hasarder, suivre là, l'allée qui débouche sur Pompidou-Metz, et le mur vert-de-gris qui masque les lignes de la compagnie des transports ferrés. Puis, tourner, revenir, regarder. Voir les trois rectangles qui sont comme des tiges en équilibre d'un grand mikado de béton. Géants, mais qui paraissent fragiles comme des oiseaux. En une sorte de lévitation hasardeuse. Alors, je ne suis plus ici, mais aux côtés de Kagemusha, avec lui, la doublure du guerrier, près de sa tente de combattant, de samouraï, dans ce mélange de la force des armes et de la faiblesse de la toile de l'abri. Mais, pour finir, beaucoup de gris, de blanc, et les lignes de chemins de fer où, là encore, je regarde non pas la liaison ferroviaire, mais les petites gares d'Ozu et ses mariages difficiles. Donc, le cinéma. Donc ce qui nécessite l'identification. La catharsis. La confusion de soi et du paysage. Faire le discours de cette relation. Faire de mes propres yeux le parcours de la promenade, comme pour un plan rapproché.
Je suis venu pour voir le chantier, le travail en progrès. Le bâtiment était comme un arbre dévêtu, une armature, le bois d'oeuvre, comme on imagine les grands travaux de la Renaissance florentine. C'est cela qui agite les travaux du promeneur. Par exemple, cette pensée que l'homme est nouveau, qu'il quitte sa dépouille sanglante de contemporain du XXème siècle. Comme l'homme médiéval quittait sa peau au Concile de Trente. Donc, le chantier. L'idée du chantier. Là où rien n'est tangible encore. Les traces incertaines car temporaires. Et ainsi, une époque neuve. Un homme nouveau qui voit le jour en ce siècle neuf qui commence depuis si peu. Car c'est chantier de l'homme, ici. Donc chantier adossé à la vie symbolique.
Une vigie. Un mât de misaine. Et pour cet homme phénix, il reste le lien. La ligature. La jonction. Rejoindre. Car la promenade est faite pour faire le chemin vers. Pour se diriger en l'accueil. Pour laisser entendre en quoi l'architecture du musée est une sorte de cri, d'appel. Pour une traversée. Pour faire le lien. Comme la bande-son d'un film n'illustre pas mais fait voir une chose supplémentaire. Voir par exemple, le chantier dans la nuit. Dans la nuit encore assez longue de ce début de printemps. Les arcs électriques sur la flèche centrale. La lumière qui vient gésir sur les armatures de métal qui sont comme des brindilles en feu. Une oeuvre. Oui, avec son côté diurne et sa nuit. Avec ses deux éléments, féminin et masculin.
Ensuite, il faut quitter l'avenue. Rebrousser chemin. Revenir. Reprendre la peau du passant et quitter celle du marcheur. Quitter avec lenteur encore une fois, la pensée, la chambre claire de l'écriture. Et avec cet abandon, le sel, le précipité. Ce qui reste. C'est-à-dire un arpentage.
Didier Ayres
- Vu : 3658