Le potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison, Arto Paasilinna (par Léon-Marc Levy)
Le potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison. Trad. du finnois par Anne Colin du Terrail. Mai 2011. 343 p. 20 €
Ecrivain(s): Arto Paasilinna Edition: Denoël
Chaque moment de retrouvailles avec Arto Paasilinna et ses univers merveilleux (entendez bien « merveilleux » au sens de contes merveilleux) constitue une promesse – toujours tenue – de jubilation à la fois littéraire et humaine. Le maître finlandais possède cette aptitude magique à faire naître sous sa plume des univers et des êtres magnifiques de folie, d’étrangeté, de bonté, de délire. Et les histoires vont avec. Abracadabrantes, improbables, aux marges du conte fantastique et cependant tellement proches de l’humaine condition.
L’inspecteur principal Jalmari Jyllänketo, de la sûreté nationale finlandaise enquête dans le cadre pour le moins énigmatique d’un ancien Kolkhoze minier devenu l’entreprise de culture bio la plus florissante du pays. On y fait pousser, dans les galeries souterraines, des champignons particulièrement succulents et dans les champs immenses des herbes aromatiques sublimes.
Cette prospérité d’un domaine agricole sur des terres situées aux limites de la Laponie est justement ce qui a intrigué la sécurité nationale et notre inspecteur, se faisant passer pour un contrôleur du label « bio », vient y farfouiller pour comprendre les clés du succès. Et l’art de Paasilinna fait le reste. Une aventure picaresque hilarante et un tableau attachant d’un monde peuplé de personnages aussi déjantés que séduisants.
L’ « Etang aux Rennes » (c’est le nom de domaine) est une sorte de kolkhoze en pleine Finlande européenne et capitaliste. Le projet avait bien alerté les pouvoirs publics, en raison des idéaux communistes affichés : « Le président de la république en personne, avait considéré le projet de l’Etang aux rennes comme une folie et une expérience politiquement dangereuse ». Mais en fin de compte :
« Il avait décidé de noyer ces rêves socialisants au plus profond des marécages lapons, dans l’espoir qu’aucune bouffée de délire collectiviste n’en remonte jamais à la surface.. Les tourbières ferrugineuses de Turtola n’étaient peuplées que de grues et de grenouilles, et aucun agriculteur sain d’esprit n’aurait jamais planté sa bêche dans ces terres spongieuses sujettes aux gelées blanches. On ne trouvait de cinglés pareils qu’en Laponie. »
Et l’inspecteur Jalmari Jyllänketo va aller de surprise en stupéfaction ! Au milieu de personnages plus fous les uns que les autres, peu à peu, il va percer le mystère de l’Etang aux Rennes (car il y a bien un mystère !), menant son enquête installé dans ce lieu auquel il va s’attacher au point de rêver de n’en plus partir.
Et quelles rencontres ! Entre la belle Sanna Saarinen qui le couvre de soins (et le couve du regard) et un aviateur devenu régisseur à la vie sexuelle agitée, qui rêve de faire installer une piste d’atterrissage au milieu des marécages, la vie de notre policier n’a jamais connu pareil chamboulement. On y rencontre même des porcelets amoureux et jaloux.
« Une nuit, lors que l’aviateur, après une longue absence, se dépensait dans la chambre à coucher avec Irmeli, le porcelet jaloux les avait rejoints, avait grimpé sur le lit et tenté d’en déloger l’homme qui lui avait pris sa place. Kasurinen avait essayé de le chasser d’une main, mais rien à faire, avec cette tête de lard. Il avait ensuite tenté de le faire descendre de là à coups de pied, mais l’animal avait esquivé et crié comme si on l’égorgeait. Finalement le goret avait planté les dents dans son postérieur en mouvement. "Il m’a mordu, ce con !"
Mais le galant aviateur n’était pas du genre à se laisser interrompre dans son envol vers le nirvana. Tandis qu’Irmeli gémissait sous lui, il avait poursuivi sa besogne, tout en tentant de faire lâcher prise au cochon agrippé à ses fesses nues. »
Et puis, vous ne perdrez pas votre temps à ne lire qu’une histoire avec ce Paasilinna. Vous avez droit, pour le même prix, à un cours complet de patois savolais (de Savonie) auprès duquel le jargon de nos gamins et de leurs textos devient une langue d’une rare tenue. Jugez donc, avec la vieille Emma Oikarinen :
« Nom de Djou ! Mi qui sonjwa d’jà quë j’dalwa m’rouleu dès l’foûrâje avèc in jonne couyu. Mès ëj’wa quë j’sû trop vièle poûr vous. » (La bienséance interdit ici toute traduction …)
Vous suivrez bien sûr en riant jusqu’au bout l’ « enquête » du limier Jyllänketo. Mais vous y découvrirez aussi, à chaque page, l’amour des hommes qui nourrit l’univers paasilinnien, et le rêve d’un monde plus juste et plus beau. Vous y trouverez même, entre les lignes mais en basse continue, une sorte de manifeste libertaire et écologiste. Depuis « Le lièvre de Vatanen », Arto Paasilinna n’a jamais cessé de nous décliner ce rêve, dans un immense éclat de rire.
Léon-Marc Levy
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