Le Papier d’orange (La carta delle arance), Pietro De Marchi, éd. Empreintes (par Didier Ayres)
Le Papier d’orange (La carta delle arance), Pietro De Marchi, éd. Empreintes, mai 2021, trad. italien, Renato Weber, 190 pages, 9 €
Sprechgesang
Il n’a pas été facile pour moi de trouver la clé de ce recueil bilingue italien/français de Pietro De Marchi. Je pense, d’une part, que la rédaction s’est faite au long cours, avec une langue qui évoluait peut-être. D’autre part et par conséquent, ses thèmes et ses images multiples et variés faisant des faisceaux de lumière, éclairant des objets dans la nuit, auraient fabriqué un univers complexe et profond. Ce qui m’est venu à l’esprit est donc une question formelle. J’ai opté ainsi pour le « chant parlé », c’est-à-dire une poésie à demi-lyrique dont le récit tremble dans le contenant, dont la réalité tangue dans le signe. De cette manière, généralement, la beauté triomphe. Et derrière cette surface presque légère, ductile, l’on voit le poète en train d’exister. Nous avons affaire à une lueur noire, une encre saturée qui occupe la blancheur du papier.
Tandis qu’ici dehors les merles
prennent d’assaut le sorbier
qui étend sa ramure jusqu’à frôler le sureau,
et qu’avidement ils en gobent les baies écarlates
avant de s’envoler, effrayés par une ombre,
moi, je me souviens que je voulais t’écrire ;
car la dernière fois que je t’ai vu
tu m’as égrené une série de noms d’oiseaux
en dialecte, tels que finchi, fringuelli
en italien, Finken en allemand,
et moi, je n’ai pas pu penser à Pascoli,
que tu n’avais peut-être jamais lu.
Pour moi, cette poésie s’approche davantage du récitatif que de l’aria, même si ces dénominations restent relatives. Mais j’ai reconnu ce que le Sprechgesang autorise en musique, un chanté-parlé où apparaît l’auteur, juste voilé légèrement par la musique de sa langue. Il s’agit d’un texte modérément chanté, andante cantabile.
De cette manière, la première lecture n’épuise pas le poème. Et, si l’on considère que raconter s’infuse dans le poème (dans la forme de l’épopée par exemple, même si ce que raconte le texte est composé de fragments de la vie du poète, et donc ressemble à une sorte d’assemblage « lautréamonesque » (?), dès lors les poèmes peuvent se faire musicaux.
En sortant pour aller à un enterrement, ce jour-là,
il s’était vu dans le miroir de l’ascenseur
(encore plus creuses
ses joues, et le profil toujours plus effilé)
et s’était contenté de dire :
je viens comme symbole.
Il n’en fallait pas moins que l’expérience d’une vie
(et d’innombrables lectures) pour arriver à dire,
avec une telle élégance, une vérité si lancinante.
J’ajoute simplement que cette poésie est une prise du réel, une capture, rend captif l’éclat de la réalité, laquelle capte le poème qui à son tour lui insuffle son chant, sa matière.
Didier Ayres
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