Le mur de mémoire, Anthony Doerr
Le mur de mémoire (Memory Wall), traduit (USA) par Valérie Malfoy, 7 février 2013, 290 p. 21,50 €
Ecrivain(s): Anthony Doerr Edition: Albin Michel
Un voyage dans l’espace qui se double d’un voyage dans le temps.
Avec son recueil de nouvelles, Le mur de mémoire, Anthony Doerr nous conduit de l’Afrique du Sud aux Etats-Unis, en passant par la Chine, la Lituanie ou l’Allemagne. En plus de nous convier aux quatre coins du monde, il traverse aussi les époques. Mais loin de se livrer à des exercices de reconstitution historique, c’est le souvenir d’événements qui guide ses récits.
Les six nouvelles de ce recueil ont en effet pour thème la mémoire et sa persistance. Elles posent la question de savoir comment des souvenirs continuent à vivre dans le présent et, dans une certaine mesure, comment ils influent sur la vie, voire la déterminent.
Tous les personnages d’Anthony Doerr sont hantés par la perte ou la résurgence de leur passé. Le passé crée un manque parfois vertigineux. Ce qui a été mais n’est plus devient une boussole pour continuer à avancer, mais aussi un fardeau – quand il devient presque fantasme –, qui empêche d’aller de l’avant et de se construire.
Ainsi, en Afrique du Sud, une femme, au soir de sa vie, enregistre ses souvenirs sur des cassettes que des voleurs tentent de s’approprier pour découvrir le secret que son mari a emporté dans la tombe.
Une orpheline quitte le Kansas pour aller vivre chez son grand-père en Lituanie où elle découvre que les mythes peuvent avoir une certaine réalité.
Une vieille femme qui a échappé à l’Holocauste se souvient de ses amies d’un orphelinat juif de Hambourg.
Un paysan chinois tente de conserver la mémoire de son village que la construction d’un barrage va submerger.
La phrase d’Anthony Doerr est souvent courte et directe. L’utilisation du présent la rend particulièrement dynamique et lui confère une intensité.
L’auteur croque ses personnages avec peu d’effet, mais aussi avec une propension certaine à l’empathie. A chacun des héros qu’il met en scène, il manque quelque chose : la maladie d’Alzheimer qui désagrège un corps, la perte d’un parent ou d’ami, la stérilité. Chacun se bat avec ses armes, avec plus ou moins de conscience, ou de conviction, pour tenter de renverser cette situation ou de s’en accommoder. Et si le présent n’est pas toujours très rassurant, c’est par la mémoire que vient l’espoir. C’est elle qui apporte la lumière.
Anthony Doerr est un équilibriste. Souvent, il se retrouve à la lisière du pathos, de la mièvrerie, mais il ne tombe jamais là où des plumes moins habiles s’y perdraient. Il semble toujours savoir où placer le curseur de l’émotion. Il n’en fait jamais trop.
Il jongle avec les lieux et avec les époques, mais aussi avec les genres. La nouvelle qui donne son titre au roman est, sous ses aspects ultra réalistes, une histoire de science-fiction. Une autre flirte avec le fantastique. Et pourtant toutes paraissent profondément réalistes. Sans doute par la grâce de personnages humains, trop humains.
Yann Suty
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