Le monde secret d’Adélaïde, Elise Hurst (par Yasmina Mahdi)
Le monde secret d’Adélaïde, Elise Hurst, Éditions D’Eux, avril 2021, trad. anglais, Christiane Duchesne, 32 pages, 13 €
Un monde flottant
Le monde secret d’Adélaïde est le titre du livre-jeunesse d’Elise Hurst, dont la couverture, au format conséquent de 31cm par 24,5cm, propose deux tableaux brossés avec souplesse, en léger flouté, au recto et au verso de l’album. Deux tonalités également, l’une nocturne, où une hase vêtue de rouge écarlate veille sous un ciel étoilé, et l’autre plus diurne, où le Léporidé prend le thé avec en vue des buildings.
Une grande ville, voire une mégalopole, peut-être New-York, Canberra ou Sydney, est peuplée d’animaux reprenant les postures, les us et coutumes des humains, buvant un café, se dépêchant le matin, travaillant, créant, etc. Ainsi, des lapins, des lièvres, un singe, un éléphant, des chats, des ours et des oies, une kyrielle d’animaux voisinent étrangement parmi des femmes et des hommes aperçus dans les foules. Les mammifères, les carnivores et les herbivores de tous horizons se côtoient en paix, anthropomorphisés, genrés, s’envolant même parfois !
Chaque page enchante le regard, offre un passage de l’existence de la rêveuse Adélaïde, frêle Lagomorphe au prénom doublement connoté, d’origine germanique, formé sur la racine adal (noble), et hai (lande, bruyère), et capitale de l’Australie-Méridionale. Elle observe différents lieux et personnes et s’adonne ensuite à la peinture, s’éclairant à la bougie. Munie d’un carnet, elle s’assied en hauteur pour suivre le déroulé des activités des citadins. Vus par ses yeux, les bâtiments semblent ceux de maisons de poupée. Le monde imaginaire et le spectacle du réel se mélangent et cela va rompre la solitude d’Adélaïde aux douces oreilles roses.
La police de caractères, aux lettres un peu tremblées, ajoute à la clarté de la lecture du texte. Le récit est ramassé, concis, et laisse une belle part aux illustrations de grande importance, souvent en double page. Le style privilégié de la technique à l’huile, brillante, riche, la palette chromatique complexe, l’organisation spatiale et la composition des formes, des objets, des corps, sont polis comme des bijoux, en larges aplats savoureux – véritable prouesse plastique.
Les verts Véronèse claquent près du carmin, des sfumato orangés, les modelés vaporeux des verts printemps nimbent l’atmosphère surréelle. Les personnages sont auréolés de clarté, de flammes, comme si la lumière partait de l’intérieur. La rigueur géométrique des immeubles est atténuée par le rendu mousseux et flottant des touches. Le blanc cassé occupe une place particulière et les reflets des individus s’anamorphosent au sol.
Ce monde flottant est onirique. Un chat mystérieux de velours noir bleuté y enseigne devant une classe de lapereaux dorés. Des poissons évoluent dans les airs, suivant quelque courant marin. Tout vole en spirale, dans l’apesanteur et le rêve.
À offrir à tous les enfants, sans restriction.
Yasmina Mahdi
L’Australienne Elise Hurst, basée à Melbourne, artiste, illustratrice et auteure autodidacte spécialisée en littérature jeunesse, a plus de 55 publications à son actif.
- Vu : 1368