Le Matin des Pierres, Guillaume Dreidemie (par Parme Ceriset)
Le Matin des Pierres, Guillaume Dreidemie, Editions La Rumeur Libre, mars 2023, 80 pages, 14 €
Le Matin des Pierres, voilà un titre qui interpelle et plonge immédiatement le lecteur dans une atmosphère à la fois puissante et mystérieuse, l’acheminant vers un lieu imaginaire situé hors référentiel qui réunirait la grâce éphémère des matins et l’intemporalité des pierres.
Le poète, dans sa quête spirituelle, aspire ici à retrouver la pureté, la spontanéité, la sincérité de l’enfance perdue :
« Nous devrions poursuivre ce geste enfantin / Patientant les sources / Pour rafraîchir les mains / Oubliant de boire / Pour tendre la main ».
Il s’agit d’apprendre continuellement l’Amour, de le réinventer en somme, comme le suggérait Arthur Rimbaud, de deviner « ce qu’aimer veut dire », ce sens du mot que nous égarons dans les méandres du quotidien, « dans l’habitude de vivre ».
Au fil des pages, on relève des échos aux poètes de jadis, à Baudelaire notamment, mais aussi à cette notion de « réinvention » rimbaldienne : « De ta bouche nue / Plus vieille que l’Amour/ À croire qu’il faut réinventer ». À celles et ceux qui voudraient suivre l’auteur du Matin des Pierres, partager sa recherche du sens de la vie, il suggère de s’ouvrir au mystère afin de s’imprégner de sa réalité, d’en extraire l’essence, et d’accueillir la connaissance : « Ne cache plus tes mains à la lumière ».
S’il s’agit, comme chez Hölderlin, d’habiter poétiquement le monde, il y a en outre un questionnement sur ce qui habite le monde, en particulier les absents : « Vivotant /sur la table de nuit / ce portrait / Garde tes yeux ouverts ». Le moment où l’on quitte ce monde est évoqué, ce souffle qui « devient rare » et la nuit qui « entrera, aveugle ».
Il y a une lucidité et un appel à prier face à l’impuissance, l’incapacité de l’humain à empêcher l’ultime départ des aimés : « Je ne la retiens pas, je sais que je pars avec elle ». Face à la douleur, la présence des vivants est salvatrice : présence de l’Autre, qui donne sens à l’existence, à notre passage terrestre, au Tout, rejoignant le concept du « roseau pensant » de Pascal :
« Ses cheveux dans le soleil donnent un sens à la lumière ».
L’univers n’a de sens que par la vie qu’il contient.
Le temps est relatif, et le présent porte en lui un passé encore vivant :
« Hier n’est pas dans le souvenir, il est là, dans la fraîcheur des fruits ».
Pourtant, la souffrance liée à la prise de conscience par l’humain de sa finitude semble inévitable, tout autant que le frisson qui saisit le poète, lorsqu’il réalise qu’indirectement, « la mort a enfanté nos visages », et que « l’on ne peut rien que tenter de guérir ». Le salut se trouve dans cette « pure présence » que l’on ne peut appréhender qu’en communiant avec le silence que beaucoup, à tort, craignent et tentent d’éviter…
« Nous luttons contre le silence
imbéciles que nous sommes
avec les moyens du bord de la rive et du ruisseau
trempés par les remous
nous sommes des noyés accomplis ».
Mais celui qui sait nager, qui ne craint pas d’affronter le vide et les épreuves, trouvera toujours, sur les rives de l’existence, des rochers qui le sauveront du naufrage, et, sur les sentiers du temps, des pierres qui le conduiront pas à pas vers la contemplation et l’émerveillement.
Parme Ceriset
Guillaume Dreidemie est né à Lyon en 1993. Il est Professeur de philosophie, Adjoint de l’établissement ICOF-Campus Saint-Irénée à Lyon 5ème. Conférencier à l’Université Pour Tous, au Collège International de Philosophie et au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Organisation de séminaires et publications d’articles universitaires. Collaboration régulière avec la Revue Matières à penser. Membre fondateur de la Revue de poésie L’Écharde.
- Vu : 1970