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Le Malade imaginaire, Molière (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando 16.10.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Théâtre

Le Malade imaginaire, Molière, juillet 2020, 256 pages, 2,95 €

Edition: Folio (Gallimard)

Le Malade imaginaire, Molière (par Sylvie Ferrando)

 

Depuis la pandémie du Coronavirus de 2019-2020, le personnage d’Argan nous est devenu familier, avec ses craintes d’hypocondriaque concernant tous les aspects de sa santé. Heureusement, les danses et ballets qui introduisent chaque acte et cloturent la pièce, véritables petites scènes exotiques, le premier de ces intermèdes célébrant Louis XIV, contribuent à dédramatiser la thématique. La pièce a été conçue pour être jouée à la période du carnaval et relève de l’esthétique non seulement classique mais baroque, avec des divertissements costumés, chantés et dansés, qui font partie intégrante du spectacle et sont annoncés, pour les deux derniers d’entre eux, par l’un des personnages, Béralde.

La place des chants dans cette pièce est d’autant plus importante que Cléante se fait passer pour le maître de musique d’Angélique et que ceux-ci se livrent à l’acte II à un échange amoureux crypté, devant un public qui n’y voit goutte. Comme toujours, masque et travestissement, qui engendrent des procédés de double énonciation, sont infiniment plaisants pour le spectateur qui en sait davantage que les personnages dupés.

Plus que le personnage ridicule et puéril de Thomas Diafoirus (le diarrhéique latinisant) ou celui de Monsieur Purgon (le laxatif), c’est en réalité le personnage de Toinette qui porte le comique et une bonne partie de l’intrigue de la pièce, avec la scène du « Ha ! » (acte I, scène 2), la scène du « poumon » (acte III, scène 10) et la scène où se révèle la véritable nature de Béline (acte III, scène 12). Le personnage de Toinette incarne le bon sens du peuple et la gouaille comique et farcesque des valets de la comédie italienne et française.

On connaît le goût – ou plutôt l’aversion – de Molière pour les médecins et la gent médicale. Depuis la mort de sa mère en 1632, alors qu’il n’a que dix ans, il a vu les médecins tatonner en matière de santé et faire plus de mal que de bien aux patients, tout cela avec une grande assurance. Ce mépris des médecins le poursuit jusqu’à la fin de sa vie, avec une sorte d’ironie du sort : Molière est, non pas mort sur scène en jouant Le Malade imaginaire en 1773, mais en jouant le rôle d’Argan pour la quatrième fois, même très malade, au point qu’il en meurt quelques heures plus tard, à son domicile de la rue de Richelieu.

Comme dans Le Misanthrope (acte I, scène 1), où Philinte tient le langage de la raison et Alceste celui de l’extrêmisme en matière d’amitié, c’est Béralde, le frère d’Argan, qui cherche à mettre un peu d’équilibre dans les décisions excessives que prend Argan concernant sa santé et l’union de sa fille. C’est également lui qui se fait le porte-parole des opinions de Molière concernant les médecins et les avancées de la médecine (acte III, scène 3). On assiste à un « agôn », c’est-à-dire une dispute argumentée entre les deux personnages, dans laquelle Argan se met à décrier Molière lui-même et son parti-pris anti-médecins, s’opposant ainsi au deuxième degré à Béralde.

Après une dernière ruse de Toinette, le lâcher prise, la fin de la rétention psychique d’Argan et de son aveuglement morbide a lieu à la fin de la pièce, comme dans toute bonne comédie classique qui doit se terminer par un mariage heureux et, dans cette pièce, par un retournement de situation, une cérémonie burlesque dans laquelle Argan devient médecin.

 

Sylvie Ferrando

 

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, est un comédien et dramaturge français né en 1622 à Paris et mort en 1673 à Paris. Il est célèbre pour avoir écrit, mis en scène et joué une trentaine de comédies en vers ou en prose, accompagnées ou non de ballet et de musique, parmi lesquelles : L’Ecole des Femmes (1662), Le Misanthrope (1666), L’Avare (1668), Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669), Le Bourgeois gentilhomme (1670), Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes savantes (1672), Le Malade imaginaire (1673). Il occupe une place emblématique dans la culture française et francophone puisque le français est couramment désigné par la périphrase « langue de Molière ».

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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

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