Le Mal des Ardents, Frédéric Aribit
Le Mal des Ardents, Août 2017, 247 pages, 18 €
Ecrivain(s): Frédéric Aribit Edition: Belfond
Une histoire déferlante, comme Lou. Frédéric Aribit nous propose un portrait de femme peu commune, une arche de vie, un monument de désirs, une montagne d’insolence et d’audace. Lou, rencontrée par le narrateur comme on rencontre la foudre et son célèbre « coup ». Et Lou, femme libre s’il en fut, exaltée, provocatrice, belle, dépositaire sûrement de toutes les colères de femmes accumulées depuis des millénaires. A l’image de son violoncelle, qu’elle transforme en voix de la colère à travers les textes de Bach ou de Brahms, jusqu’à parfois en faire claquer les cordes.
La musique accompagne ce roman, comme une basse continue, adoptant ses folies et ses sagesses, ses explosions et ses répits.
« Adagio – Allegro non troppo
Allegro con grazia
Allegro molto vivace
Adagio lamentoso
J’ai respiré un grand bol d’air et un tourbillon s’est élevé dans la salle, une sorte de danse bancale, de valse cassée. Je me suis demandé si j’étais le seul à avoir remarqué cette horlogerie détraquée, j’ai regardé Lou, inquiet, mais elle fixait le chef et dansait en boitant avec les autres alors il m’a fallu prendre le rythme aussi, en accepter la brisure d’estropié. Fais-moi danser Lou, même à cloche-pied, même avec la béquille triste où nos jours s’appuient ».
Et l’écriture de Frédéric Aribit s’inscrit dans ces mouvements alternés, parfois en phrases longues et haletantes, pressées d’urgence, parfois en phrases courtes, apaisées. On savait, depuis Trois langues dans ma bouche, la virtuosité de son écriture. Ce roman en est la confirmation évidente.
Et puis Lou va pousser l’ardeur jusqu’aux ardents, jusqu’au Mal des Ardents. Une maladie séculaire provoquée par l’ergot du seigle qu’on peut ingérer par le pain. Rarissime de nos jours (mais pas complètement disparue), elle a fait des ravages autrefois, provoquant au Moyen Âge de véritables hécatombes. Lou ne peut trouver maladie plus adaptée à elle, les symptômes étant une extrême exaltation, une agitation irrépressible, des démangeaisons insupportables et la perte de soi, corps et esprit.
Et le petit prof de lettres, amoureux fou, ébahi devant le Mal, va accompagner dans un effarement grandissant sa Lou malade. Dans un tourbillon d’espoir et d’inquiétude, dans une expérience qui le mène au bout de lui-même, au bout d’elle. Lou.
Frédéric Aribit nous offre un livre exalté et exaltant, dans une narration maîtrisée et un style virtuose, contrepoint parfait à l’incendie de Lou, incendie intense, loin de celui que Pétrarque, cité ici, désignait comme « Chi puo dir com’egli arde è un picciol fuoco » (Celui qui peut dire à quel point il brûle est dans un petit feu).
Léon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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