Le livre errant, Jean-Marie Kerwich
Le livre errant, avril 2017, 92 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jean-Marie Kerwich Edition: Mercure de France
Le livre errant est un recueil d’impressions, naïves, au sens étymologique du terme.
Le livre d’errant est un compagnon de rêverie, de marche, de déambulation parmi les nuages et les ruines qui font que le monde est, parfois, un frisson où s’étendre.
Le livre errant est une façon mi-figue, mi-raisin de caresser les topoï pour les faire se retourner comme des gants.
Comme de petits animaux rougissants.
Morceaux choisis :
« Que vais-je écrire sur cette page blanche ? On ne sait pas quand l’âme vous force à prendre la plume. C’est une sorte d’esclavagisme spirituel. D’ailleurs pour qui écrire, et qu’écrire puisque l’écriture a déjà tout écrit ? L’admirateur et l’admiré sont morts. Il ne reste plus que quelques branches qui jonchent la chaussée et regardent la vie marcher pieds nus. Je ne suis pas un écrivain, juste le secrétaire de Dieu qui dicta sa pensée. Il sait que je n’ai pas la foi, c’est pour cela que je lui conviens. Que lui importe que je sois inconnu. Il sait qu’une bouche récitera mes poèmes après ma mort ».
« Putain que c’était bon d’être à quinze ans assis près de la cage des chiens de mon père tandis qu’un rayon de soleil me faisait pousser à vue d’œil ! Tous les animaux ont des yeux de poète. On ne rêve pas quand on est jeune, on vit. Le bien et le mal jouent ensemble car les enfants de Dieu et les enfants du diable restent des enfants. Mon enfance portait déjà l’épée de saint Michel et le serpent renaissait chaque fois que je lui tranchais la tête. C’est après que tout change, quand les feuilles des arbres déposent leurs signes écarlates à vos pieds, faisant de vous un poète ».
« La nuit a posé à son cou son collier d’étoiles. Je marche dans la rue quand soudain j’abandonne mon ombre au coin d’un trottoir, et je vois passer un poème, vêtu d’un manteau marron. C’est un passager des mots qui parle tout seul à voix haute. J’entends ce qu’il dit car je suis caché derrière un arbre, un de ces arbres qui ne traduisent pas la confidentialité de l’âme. Ce poème s’est échappé de la cage thoracique de son poète à cause du désespoir de Dieu. Le temps n’existe pas. Les siècles sont des gamins qui courent en culottes courtes. Le temps a allumé son feu. Il va faire griller quelques siècles. Les historiens seront conviés au repas ».
« Il n’est pas nécessaire d’être poète pour écrire un poème, mais il ne faut pas croire que ce soit si facile que ça. L’art poétique est une partition lyrique profonde, cela n’est pas donné à tous, surtout pas à l’imposteur. Je me tiens sur un banc près d’un jardin d’enfants, pages au vent. Nul ne fait attention à moi à part un infortuné clochard qui me prend dans ses mains. Après avoir parcouru quelques lignes, il me repose sur un muret. Ses pensées tournent leurs imperceptibles têtes vers moi et me remercient. Dans une rigole, je vois des mégots de cigarettes qui voguent sur l’eau avec quelques déchets. Tous nagent sourire aux lèvres ».
« Moi, Jean-Marie Kerwich, en mon être le plus miséreux, j’ai bâti un refuge pour les pensées infortunées. Je les reçois dans mon esprit et j’écris leurs messages. Puis je m’endors sous la couverture du livre errant. L’homme que je suis s’arrête ici. Assis au bord d’un trottoir, comme un mendiant démuni tendant sa main, ma vie s’arrête ici. À quoi bon écrire pour devenir, dans le meilleur des cas, le nom d’une rue menant elle-même à la mort ? D’ailleurs je n’ai plus besoin d’écrire car je suis devenu l’enfant de la Création. J’aime mieux vivre seulement, sans rien espérer. J’aime sans aimer. Je n’ai plus qu’à m’asseoir au pied d’un arbre et le livre s’achèvera tout seul. Puis, avec l’aide de la brise, je serai publié aux quatre vents. Je vois le livre errant emporté sur l’eau de la rigole du trottoir. Pas un nom, pas un titre sur la couverture. Il me jette un dernier regard. Puis un éboueur le happe du bout de sa pelle et le jette dans la benne à ordures. C’est fini ».
L’auteur a dédié son livre à Lydie Dattas : « Je mourais de soif, / Tu as été ma fontaine / Mon esprit s’est mis à fleurir ».
« Jean-Marie Kerwich habite chez une amie à Aubervilliers où il peut écrire au calme ou lire les livres que Lydie Dattas lui envoie, sur François d’Assise, Benoît Labre ou saint Augustin. L’été, il rejoint sa caravane à Claye-Souilly en Seine-et-Marne, où M. Godard lui a permis de s’installer en contrepartie de quoi il aide à la moisson. Là-bas, aussi, il écrit. Et il peint. Parfois encore, il va rendre visite à ses cousins dans le midi, partage leur repas et joue avec eux de la guitare. Mais il ne sent plus tout fait chez lui parmi eux. “Je suis un Gitan solitaire”, constate-t-il. Ce Gitan-là, “pas un croyant mais un souffrant”, demande tous les jours trois choses à Dieu : de veiller à la santé de son fils, de réussir à jouer de la guitare, d’aider les malheureux. Son fils va bien. Il est violoniste et vit aux Pays-Bas » (Robert Migliorini et Martine De Sauto, La Croix).
Matthieu Gosztola
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