Le Livre de Hirsh. Roman israélien, Tzvi Fishman (par Gilles Banderier)
Tzvi Fishman, Le Livre de Hirsh. Roman israélien, traduit de l’américain par Ghislain Chaufour Saint-Victor-de-Morestel, Les Provinciales, 2022, 282 pages, 24 €.
Steven Hirsh est un personnage représentatif, pour le meilleur comme pour le pire, d’un certain judaïsme américain. Avocat new-yorkais spécialisé dans la défense des célébrités, entre autres lors de leurs coûteuses procédures de divorce ou quand elles commettent des infractions variées, il se considère comme raisonnablement juif, mais prend de très nombreuses libertés avec les 613 mitsvot (commandements) de sa foi ancestrale. À vrai dire, il n’en respecte à peu près aucun et vient de divorcer de sa troisième épouse. Précisément, au moment où commence le roman, l’ex-troisième Madame Hirsh, ancienne championne de tennis, vient de trépasser de singulière façon : elle jouait au golf lorsqu’un éclair a frappé les clubs métalliques qu’elle portrait à l’épaule, lui offrant l’occasion de vérifier très brièvement la validité des observations de Benjamin Franklin. Un esprit même médiocrement religieux aurait été interloqué par cette façon de mourir. Pas Hirsh qui, en homme pratique, s’occupa des formalités diverses, parmi lesquelles répondre aux questions des journalistes.
Là-dessus, Kevin, le fils que Hirsh avait eu de sa première femme, se manifeste. Kevin, ou plutôt Abraham, avait fait son alya et vit désormais en Israël. Contrairement à son père, il prend la religion de ses pères très au sérieux et mène l’existence à la fois désargentée et indifférente aux biens matériels des étudiants en yeshiva, une école talmudique. Kevin/Abraham annonce à son géniteur ses récentes fiançailles et l’invite à son futur mariage. Veuf peu éploré, juif peu observant et sioniste très modéré, Hirsh père arrive en Israël et, dès l’aéroport, découvre une situation sécuritaire bien différente de celle qui prévaut à New York, même après les attentats du 11-Septembre. Il découvre dans un pays armé jusqu’aux dents, vivant dans une situation obsidionale justifiée par les incessants attentats palestiniens. « […] la guerre entre Israël et les Arabes n’avait pas commencé avec le sionisme moderne. Le conflit entre Isaac et Ismaël était aussi vieux que la Bible. La terre d’Israël n’en était pas la cause. C’était une guerre de religion. La doctrine de l’islam, tirée du Coran, exigeait la suprématie. Elle enseignait que Muhammad était le véritable prophète. Allah avait abandonné les Juifs et les chrétiens à cause de leurs péchés, et donné la préférence aux islamisants. Tous les autres étaient des infidèles qu’il fallait convertir de force ou bien éliminer. Mais lorsque les Juifs opprimés revinrent en terre d’Israël et vainquirent à plusieurs reprises les forces conjuguées d’Allah, la doctrine de l’islam en prit un sacré coup. Les Juifs transformèrent les terres à l’abandon et le désert en miracle agricole, introduisirent les avancées médicales, technologiques, numériques destinées à améliorer le monde, et les dromadaires furent laissés à la poussière avec le seul pétrole pour les sauver » (p. 68-69) – ce qui contribue à expliquer pourquoi, entre autres raisons, les Palestiniens ont toujours refusé les solutions politiques qui leur étaient proposées.
Promenant sur Israël les yeux de Candide, maître Hirsh se rend assez vite compte que son fils ne se contente pas de passer ses journées plongé dans les folios des deux Talmuds. Sa vie religieuse possède un (inévitable ?) volet politique. Soupçonné d’avoir pris part à une expédition punitive contre un village arabe après l’assassinat d’un rabbin et d’une femme enceinte, Kevin/Abraham est arrêté par les redoutables services secrets israéliens. Convaincu de son innocence, remuant ciel et terre pour le faire libérer, maître Hirsh se rend compte que sa connaissance poussée des finasseries judiciaires américaines ne lui est d’aucun secours. On a dit que les rédacteurs de la constitution d’Israël s’étaient servi des travaux d’un célèbre constitutionaliste allemand, par ailleurs d’un antisémitisme viscéral et auteur de la célèbre formule : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». Hirsh n’a sans doute jamais entendu parler de Carl Schmitt, mais découvre la pleine validité de cette maxime, lorsqu’on lui explique que le droit israélien a hérité de l’empire ottoman une disposition juridique permettant « aux autorités, pour la sauvegarde de l’État, d’arrêter un individu et de le maintenir en détention durant un temps indéterminé, sans motif bien établi, sans qu’aucune charge ne pèse sur lui, et sans qu’il soit convoqué devant un juge. […] Elle autorise une détention sans procès, sans même qu’il y ait un délit, simplement au nom de la suspicion que cette personne pourrait commettre dans le futur un hypothétique manquement à la loi » (p. 121). Kevin/Abraham est tombé dans ce trou noir légal, qui n’exclut pas non plus le recours à la torture. Même s’il fut un père peu présent, et peut-être pour se le faire pardonner, maître Hirsh refuse d’écouter des considérations sur la fin et les moyens. Comme un Persan à Paris ou un Huron en Eretz Israël, il fera son possible pour obtenir l’élargissement de son fils, tout en découvrant une société à la fois familière et étrangère.
Ainsi s’explique le sous-titre déroutant du volume : Le Livre de Hirsh est un « roman israélien », excellent et mené sans temps morts, dans la mesure où, au-delà des mésaventures de l’avocat new-yorkais (né aux États-Unis, Tzvi Fishman a suivi la même route que son personnage), il explore les paradoxes et les contradictions d’un pays hors-norme, cerné d’ennemis, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières.
Gilles Banderier
Jeune scénariste à succès de Hollywood, Tzvi Fishman s’installe quelques années plus tard en Israël, à Jérusalem. Il a reçu le prix du ministère israélien de l’Éducation pour la littérature et la culture juive pour son roman Touvia en terre promise et son recueil de nouvelles, Days of Maschiach. Il est l’auteur d’une quinzaine de livres.
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