Le lièvre invisible, Olivier Born, Michel Bouche (par Parme Ceriset)
Le lièvre invisible, Olivier Born, Michel Bouche, éd. La Salamandre, septembre 2020, 160 pages, 34 €
Croyez-vous aux voyages dans le temps ? Selon Maxime Chattam : « La machine à voyager dans le temps existe. C’est la magie. Et la magie existe bien. Dans les mots ».
Et c’est justement un voyage dans le temps que nous effectuons en suivant les auteurs, Olivier Born, photographe animalier, et Michel Bouche, naturaliste, sur les traces du « lièvre invisible », ce fantôme des neiges très difficile à observer en raison de ses capacités de camouflage (de livrée blanche en hiver et brune en été), cet animal légendaire du temps des mammouths également surnommé lièvre variable ou blanchon.
En effet, ce petit animal nocturne, silencieux, est un véritable « lièvre à remonter le temps » puisqu’il existait déjà quelques dizaines de milliers d’années en arrière au temps des glaciers du Quaternaire. Il est fascinant de se dire qu’il côtoyait des aurochs, des ours des cavernes, des tigres aux dents de sabre, mais aussi d’autres espèces existant encore de nos jours comme le tétras-lyre, le renard polaire, le lagopède.
Ce qui est intéressant également est de découvrir au fil des pages l’ensemble des adaptations anatomiques, physiologiques, comportementales, que le lièvre invisible a adoptées pour survivre aux rigueurs de l’hiver en altitude, ces particularités héritées des périodes glaciaires : oreilles courtes limitant les pertes de chaleur, morphologie arrondie, aptitude à consommer et à digérer les végétaux ligneux (souvent les seuls disponibles en hiver), capacité à abaisser sa température corporelle pour économiser de l’énergie et réduire la circulation sanguine dans ses extrémités pour éviter de se refroidir. Par très mauvais temps il lui arrive même de se laisser recouvrir de neige afin de bénéficier d’une couche isolante le protégeant du vent et du froid. Cet opportunisme, cette capacité à s’adapter facilement à l’évolution de son environnement a permis à l’espèce de perdurer malgré le réchauffement climatique et le retrait des glaciers. Sa présence est donc aujourd’hui un indicateur de la biodiversité dans les Alpes où il réside.
Ce livre est une merveilleuse aventure exploratoire : les photos sublimes nous immergent au cœur de paysages grandioses, les textes offrent des descriptions infiniment poétiques de la montagne, de sa luminosité :
« Dans cet air limpide, le paysage paraît démesuré. Une lumière à la fois pâle et intense, douce mais agressive, froide et pourtant réconfortante caresse les plus hauts sommets ».
Le récit se déroule comme un jeu de piste puisqu’il s’agit de suivre dans la neige les traces laissées par les pieds démesurés du blanchon, presque de la taille d’une main humaine, étalés comme des raquettes, ces empreintes si particulières évoquant mille Y collés les uns aux autres.
Comme le dit l’un des auteurs avec cette belle métaphore, « la neige est un livre ouvert, le manteau neigeux est comme une ardoise magique : un coup de vent et tout s’efface ».
Michel Bouche explique aussi que l’émotion est toujours renouvelée, à chaque apparition du lièvre variable : « Dans ce décor minéral, froid, lisse et incolore, le blanchon est le seul signe de vie. Presque un miracle ».
Un miracle qui est une récompense bien méritée puisque l’attente de la rencontre avec l’animal se fait dans des conditions hostiles, entre risque d’avalanche et conditions météorologiques extrêmes à 2200 m d’altitude.
Ce livre est d’une beauté éblouissante qui ouvre à la contemplation et certains passages ne sont pas dénués d’humour : « Pourquoi le lièvre variable garde-t-il le bout des oreilles noir en hiver ? Peut-être que les Dieux, à l’instar d’Achille et de son talon, l’ont tenu par les oreilles lorsqu’ils l’ont plongé dans la potion d’invisibilité ».
Le voyage se termine par une interrogation : quel avenir pour cette petite boule de poils qui nous vient des temps immémoriaux ? Son existence se trouve menacée par la hausse des températures, la fonte du manteau neigeux, les activités hivernales de montagne et la chasse. Les auteurs espèrent que ce livre contribuera à prendre conscience de la nécessité de préserver cet animal légendaire et de « préférer les jumelles au fusil ». Il serait regrettable que le lièvre invisible ait survécu pendant des millénaires et qu’il disparaisse finalement de la surface du globe par la main de l’homme. Souhaitons que les générations futures puissent encore croiser ce précieux témoin de la Préhistoire.
Parme Ceriset
Olivier Born est photographe animalier et spécialiste de la faune de montagne. Il vit et travaille dans les Alpes suisses. Il a immortalisé le lièvre variable dans des situations et contextes divers. Le lièvre invisible est son troisième livre, après Les gardiens de l’Alpe (Salamandre, 2016), et La faune de nos montagnes (Emmanuel Vandelle éditions, 2017).
Vétérinaire de formation, Michel Bouche travaille comme Technicien Patrimoine au Parc national des Ecrins. Il étudie le lièvre variable dans les Alpes françaises
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