Le justicier d’Athènes, Pétros Márkaris
Le justicier d’Athènes, traduit du grec par Michel Volkovitch, septembre 2014, 320 pages, 7,30 €
Ecrivain(s): Pétros Márkaris Edition: Points
On avait oublié qu’un roman policier pouvait se rapprocher d’analyses sociologiques, voire politiques. On plonge dans le livre de Pétros Márkaris avec l’attente d’intrigues, de suspens. Mais au fur et à mesure de la lecture, nous voilà de plus confrontée à la crise économique et politique de la Grèce. Ce livre étonne car il parvient à rendre compte d’une atmosphère générale de débâcle, de désillusions. Ainsi constamment le commissaire Charitos est pris dans une toile d’araignée de bouchons, de manifestations et de klaxons. Sortir du commissariat ou de chez lui demande toujours d’aller se confronter aux mécontents, aux révoltés, aux frondeurs, aux indignés, à une foule qui n’en peut plus de ne compter pour rien et de lutter pour survivre.
« Dans la rue Menandrou tout est bloqué. Pourtant, pour la première fois, je n’entends ni klaxons ni jurons, je ne vois aucun vilain geste. Les automobilistes attendent patiemment de couvrir trois mètres jusqu’au prochain blocage. Je demande à Koula : – Pourquoi sont-ils si calmes ? – Les gens baissent la tête, monsieur le commissaire, ils deviennent fatalistes. On se dit, rien n’avance, pourquoi les voitures avanceraient-elles ? »
C’est ainsi que le livre est traversé de suicides de gens humbles, vivant comme une humiliation leur baisse de niveau de vie, celle-ci leur faisant parfois perdre toute autonomie.
« Nous avons compris que nous étions un poids pour l’état, les médecins, les pharmacies et toute la société. Nous partons pour vous éviter cette charge. Quatre retraitées en moins, cela vous aidera à mieux vivre ».
Et puis voilà qu’apparaît ce percepteur national qui entend réparer par lui-même quelques injustices, celles surtout provoquées par « les notables », « les hauts dignitaires », ceux à qui la crise profite. Il fait payer leurs impôts aux riches, dénoncent les magouilles commerciales et politiques. S’ils refusent de payer, ils les exécutent. Le style de Pétros Márkaris frôle l’ironie et les dialogues sont cocasses et truculents.
« Tu as compris ce qu’il m’a dit ? commente Spyridakis dès que nous sommes sortis. Dans les démocraties, la fraude fiscale est un droit du citoyen ». Parfois, il dénonce par l’absurde : « – Tu as compris ce qu’il nous a dit ? demande-t-il – Oui. Que Merkel collecte les impôts avec de la ciguë. Que les constructions illégales et les pots-de-vin sont le symbole du développement. Si tu n’es pas corrompu, tu fais du tort au pays en aggravant la récession ».
Le plus touchant et le plus intéressant peut-être est la situation des « jeunes ». Ainsi la fille du commissaire, en larmes lui dit : « Toi, tu m’as tout donné. Ce pays ne me donne rien ». Katérina, jeune femme diplômée, est candidate à l’exil, en Afrique ! Elle travaille plus ou moins dans le social et « l’humanitaire », mais en Grèce, personne n’a besoin d’elle ou alors en tant que bénévole.
« En tout cas, je ne veux pas m’illusionner, faire comme si je travaillais, sache-le, me dit-elle à la porte. Ici tout le monde fait comme si. Les uns font comme s’ils travaillaient, les autres comme s’ils réformaient, d’autres encore comme s’ils appliquaient les lois. Nous sommes tous dans le faux-semblant ».
Nous sommes dans ce livre à la fois dans l’action, dans le mouvement avec le commissaire, mais nous avons aussi une position d’observateur, voire de critique. Ce livre fait partie d’une trilogie. Le premier s’intitulait Liquidations à la grecque, nous étions déjà dans la crise. A quand le troisième ?
Zoé Tisset
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