Le journal de MCDem (9), par Murielle Compère-Demarcy
Vendredi 8 décembre
Lettre à Daniel Biga*
Cher Daniel Biga,
Je lis L’Amour d’Amirat (2 A majuscules…), votre journal des années d’exil, vos mots comme un escalier sans ponctuation avec, descendues/montées, « d’interminables marches de glace », ou « d’autres mondes solaires », dans le dénuement lucide d’une spontanéité recherchée (« il n’est jamais trop tard pour être enfin spontané »). Contemplations juste saisies au point de réflexion, intact, seul avec soi, dans la course des phrases charriées de si loin – « simplement, si dépouillé ». Dans le cœur silencieux du retrait là où, finalement, la vie s’ébroue malgré tout, malgré soi, si intense (« dans ce monde de terre de forêts d’animaux / il ne se passe rien : l’actualité ici est éternelle »). Et ces odeurs, ces parfums, cette cuisine alimentaire du quotidien qui nous redonnent de la chair, la chaleur, « toutes nourritures (…) maternelles ».– Un festin nu ?…
« Amirat la montagne au trésor » fait revenir de loin, au plus près/cher, des lieux-dits de la mémoire, de nos âmes-villages, et de l’Enfance, inédits dans le cours d’aujourd’hui, sur le versant réversible (aval/amont) des choses.
Vous écrivez page 27 ce que L’Amour d’Amirat réussit :
« J’écris ce livre pour que d’autres un jour s’y reconnaissent comme moi je me reconnais dans les autres. J’écris ce livre pour que d’autres un jour y reconnaissent leur différence comme je reconnais ma différence dans les autres. J’écris mes livres pour que d’autres un jour par accord comme par opposition y puissent mieux définir leur “étrangeté légitime” comme tous les êtres tous les livres m’aident à mieux définir mon “étrangeté légitime” ».
« L’Amour d’Amirat », je l’ai rapporté de Montmeyan en août 2016 où je vous ai rencontré. Nous avons parlé quelques bonnes minutes, de littérature, de poésie, nous avons partagé sur la table du Café de France quelques grains de raisin noir et j’ai rapporté le livre dans mes bagages.
Des images fulgurantes de couleurs cosmiques m’éclatent à la figure en vous lisant et montent même comme des odeurs, des frissonnements de souvenirs, qui affleurent les pages (se retrouver, comme dans le goût perdu, des topinambours !). L’œil et tous les sens (entre)voient par L’Amour d’Amirat, des chants se lèvent, l’odorat réveillé, et l’on apprend (on apprend toujours des livres) / comprend mieux les relâchements parfois du tissu-monde dans le patchwork du sens. On y apprend, oui, à « y voir (plus) clair » au monde et en soi, à « concilier immédiatement les contraires ».
Je commence seulement de découvrir votre œuvre. Me suis longtemps tenue sur le seuil, au bord du livre, sans oser entrer. La peur ne s’apprivoise pas mais je ne perdais pas le livre de vue… Voilà que j’y accède et le rythme, le train des mots et leur course brinqueballée, donnent le change au vacarme dans la tête et au silence accompli dans l’écoute, l’œil à l’affût / à l’arrêt, dans les plissements parfois inattendus du jour (le chant des oiseaux, « ce monde de terre de forêts d’animaux », la résonance des contraires, la nuit « bête énorme » qui remue escortée de ses prodiges (même) mineurs – corneilles.mésanges.rats ah le brame comme l’aboi d’un oracle dans les ruts d’automne.
Je vis en dehors de la Ville – à quelques 70 kms de Paris donc relativement loin de la Capitale bien que m’y rendant assez régulièrement pour des rendez-vous ou lectures publiques – par choix d’une forêt que j’ai, Ici, à portée de quelques pas et de regards inépuisables. Je dis souvent, n’ayant renoué avec le bruit spectaculaire de la télévision que depuis peu, que « chez moi, j’ai mieux que la télévision grandeur nature », alors… lorsque je lis page 29 de L’Amour d’Amirat : « les flammes du feu de bois / c’est ma télévision à moi »…
L’Amour d’Amirat, d’ailleurs, fait feu de tout bois du plus simple et menu-brindilles.fagot.brousaille au plus épais, touffu élagué/fouillé comme lueur.étincelles.braises au fond de [soi et des feux de joie prennent dans l’âtre des pages, dans l’insert des yeux et L’Amour d’Amirat donne ce que vous apportent « les flammes du feu de bois : consumer des images, des visages, des souvenirs… consumer/consommer : le combustible est inépuisable. Je n’aurai jamais froid… »
Dans l’attente de vous revoir en août 2018 à Montmeyan (en PoéVie), avec l’ami Richard**.
La main – Daniel Biga en a écrit un opus poids plume en poésie, via des Mots Nomades. La main… par laquelle tu palpes le monde, par laquelle je (te) tiens, que tu regardes alors que tes yeux ne se voient pas sauf dans le regard de l’Autre, tes yeux dans les miens ; ta main dans la main de l’Autre.
« oui main plus
proche de nous on la
regarde
comme on voit
l’apparition du premier
autre
devant cet autre ma
main m’aime M… »
Daniel Biga, La main (2016)
La main – réseau de « nous comme union », via les mots nomades unit nos univers en nos « corps atomiques ». La main, d’un monde à l’autre. Ma main… ce monde « autre qui m’appartient » qui tient à la « lune soleil stars », ses fleuves emportent des anges, Oxygène, et les autres 3 éléments
« plus que jamais les anges
des quatre éléments sont
nos intimes
esprit de l’eau esprit de la
terre esprit de l’air esprit
du feu
d’un monde à l’autre
aléatoirement la frontière
est poreuse »
Murielle Compère-Demarcy
* « Poète insoumis », Daniel Biga est un des auteurs emblématiques de ce que l’on a appelé la beat generation française :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Biga
** Richard Taillefer, poète français, est l’instigateur du Festival de Montmeyan en PoéVie.
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