Le Journal de MCDem (3), par Murielle Compère-Demarcy
Dimanche 12 novembre 2017
Vivement et joyeusement interpelée par l’appellation de certaines espèces panchroniques : les chimères, les « grenouilles violettes » (découvertes en 2003), les « oursins de cuir », le requin « lézard », le requin « lutin », les triops (dotés de trois yeux), les « vampires » des abysses… quand l’Imaginaire rejoint la nomenclature scientifique…
Rencontré encore dans la Presse généraliste l’expression de « fossile vivant », notion initialement employée par le père de la théorie de l’évolution, Darwin. Cette expression suggérait l’idée d’espèces qui n’auraient pas évolué depuis les temps fossilifères. Mais une ressemblance – par exemple l’espèce fossile du Cœlacanthe « Macropoma » et l’actuel « Latimeria » – n’induit pas une absence de changements génétiques et morphologiques au fil du temps, des générations, mais infère la marque d’adaptations similaires face à des conditions de vie similaires. D’où vient l’émergence d’une telle appellation inappropriée de « fossile vivant », qui consiste dans un oxymore (puisqu’un fossile est le reste minéralisé d’un organisme mort) et véhicule une notion de nos jours considérée comme obsolète et trompeuse (une supposée absence d’évolution) ? En fait, certains taxons, comme les cœlacanthes, furent d’abord connus par des formes apparentées fossiles avant que l’on découvre les espèces actuelles. Les scientifiques parlent aujourd’hui d’espèces « panchroniques ».
Se débattre dans le sang de la solitude. Le sang se reconnaît à son écoulement ; la solitude à son enfermement. Mais, il saigne en-dedans des rêves hémophiles lisibles dans les fleurs fanées affleurant les cendres des décombres, installées dans le regard.
Se débattre dans le sang de la solitude. Sang – une.deux méduses circulent dans les vaisseaux conducteurs d’espaces, et leurs voiles, en réalité leurs ombrelles, enverguent pour l’appel au large des valves cardiaques saturées de sable. Un.deux grains enrayent l’immense et tonitruante machine intérieure, l’insatiable épuisable mécanique du cœur, un océan de carnages, autrefois immortel lorsqu’il battait au stade du polype, avant son règne de méduse. L’oxygène moléculaire broie l’âme-animale, son hypersensibilité paralysée par les cnidocytes en explosion cellulaire. Des chimères voyagent à ses bords, mais aussi le plancton des faux-amis, phyalies. siphonophores.mollusques, colonie de clones…
Se débattre dans le sang de la solitude. Sang – l’oiseau des sables a apporté un globule rouge dans son bec de givre bleu. Les ailes dilatées, envols spéculaires décimés, son supplément d’âme soufflé dans la respiration depuis trop longtemps anémiée, a éclos la part sombre des choses.
Brasses des âmes grises aux abords du grand bassin – remuements d’os.douleur cuisante des muscles.liquides biologiques flottant, bouées mal affranchies des leurres-balises du petit bassin. Un mouvement.deux mais perdre pied sans profondeur.
Le sexe-pivoine du soleil ouvre des lèvres sublimes dans les courts-circuits délirants du plasma circulaire. Lévitent dans le filigrane d’étoiles noires l’arborigène et son ombre translucide dans la forêt de nos désirs, escortés de la Fille de Hurle-Lyre. À chaque pas séquencé s’extirpe de la moelle osseuse des milliards de cellules improbables (non programmables), issues des codes ADN et de clones génétiques fabuleux. Une vaste machinerie ensorceleuse des hémisphères renverse les vases communicants de la tuyauterie cérébrale et du moteur mécanique et magnétique de tout Cela.
Cela flambe, ça carbure à l’arrache-nerfs
paroles pieds-de-biche tectoniques
la peau des apparences se décolle
à l’os la colle des par-chemins
tient le monde
dans son corps de plumes
dépouillé éternel
les mains retiennent leur cri
là
dans la reliure où l’antivol se planque
avec nos yeux strangulés d’avoir été gavés
de surenchère
rencontrés
par des envies de rapt
dans l’air
dans la tête
voler un livre pour rêver
Cela
ça remue ça rue
Les ocelles ont beau allumer sur leur ailes le self-défense
de leur bazar érotique ça laisse des traces seuls les livres ne sont
condamnés à la poudre
leur mémoire de scaphandre remonte d’apnée
jusqu’aux couleurs écorchées dans les brancards
les nus lèchent leurs blessures
demeurent sur la civière du livre
les imprimés d’incandescence
là
où ça remue ça rue
cela flambe, ça carbure
Mardi 14 novembre
« (Danse,) la Fille de Hurle-Lyre ». Curieuse, cette quasi-mémoire d’un titre – obsédant – dont je ne connais pas encore l’histoire, dont je n’ai pas encore écrit le livre.
Laisser s’installer le manque, pour que (se) Dévore l’attente*, relève des herses du désir baissées depuis si longtemps – peu à peu – devant le vertige des rêves. Ah ! Proférer des « revendications émotives qui viennent d’extrêmement loin » !**
Relire Jacques Prevel* : « je suis le donneur de sang », « je suis un homme à même l’infinité », « revenu des rêves et revenu des morts », « le monde agrandi soudain jusqu’à mon cœur », « le feu blanc de la lumière exsangue », « en dérive vers l’absolu ».
Prevel, qui retrouva chez Artaud ce « vertige né il y a des siècles et qui s’empare de mon vertige ».
Dans Les Cahiers de Tinbad (Littérature / Art) n°3 :
J’ai relu ce soir quelques lettres extraites de Suppôts et Suppliciations d’Antonin Artaud (1947).
C’est effrayant
effarant de vérité
tant que l’actualité n’est peut-être que cette actu’-alitée
en stagnation permanente dans les mêmes schèmes de ses mécanismes identitaires
alloués par un même esprit unique anxiolitiquement occupé à faire régner
coûte que coûte
une même et toujours sûreté civile légiférant sur toute pensée réfractaire.
J’en ai écrit un texte, que voici :
Des bruits crapuleux décapsulaient
l’ignominie jusqu’à laisser
se répandre par tous les pores de l’espace
l’Infamie sur les sourires
de surface, intéressés / salaces
* Dévore l’attente, Laurent Bouisset, éditions Le Citron Gare, 2016
** Revendications reconnues par Artaud dans l’œuvre de Jacques Prevel dès la première lecture qu’il en fera en 1946
L’Homme n’étant plus visible
– l’écriture rendue à sa « cochonnerie » –
paraissait sa face
ses lèvres sous scellés
confiées à la parole mensongère
la police de sûreté générale
l’intelligence service
les médecins d’asile
l’administration pénitentiaire
Le trapèze dégingandé des os
en aurait remisé un, un seul de ces Hommes
au travers du grégaire
effroyable troupeau
Il rafle encor l’espace
où se creuse
sous l’orbite ordurière
à faire mal la brèche du cœur
l’air supplicié
où voir renaître une fille
de son âme
porte-manteau
– quand Il l’appelle
un accès de douleurs
gratte
jusqu’aux fragments de l’esquille
ce qui reste
– un semblant de mollusque asphyxié
par l’ivresse solaire
des pseudo-fresques
remontées
du rire affreux
des faussaires*
* Texte paru dans Les Cahiers de Tinbad n°3, Littérature / Art, Éditions Tinbad, 2017
Murielle Compère-Demarcy
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