Le journal de MCDem (11), par Murielle Compère-Demarcy
Jeudi 14 décembre 2017
dans le châssis des mots
ouvrir
une voie nouvelle
l’infini à portée d’image
lucarne
taillée dans la pente des mots
sous l’arbalétrier de la veille
tu découpes une fenêtre
dans le miroir
les mots branchés dans l’arbre
de l’obscur
joueront toujours l’Ailleurs
ici, maintenant
dans l’inconnu des courants
ascendants ou contraires
Hantée par les marionnettes du Wayang, le théâtre d’ombres balinais et javanais. Ces marionnettes plates, de cuir, du théâtre wayang kulit, sont impressionnantes. Combien d’heures de travail pour parfaire ces silhouettes articulées, façonnées, ciselées, peintes dans le cuir des bêtes, découpé, tanné, étiré – plus de 3000 incisions pratiquées dans cette peau travaillée… La cuirasse de la sous-tribu des Bubalina alliée à la représentation extatique de rites primitifs ne peut que faire retentir les percussions de l’Imaginaire. Transe spirituelle dans l’ambiance onirique de l’Avent.
Dépouiller / saler-sécher / conserver une peau vivante qui se réanimera en une gestuelle habitée…
Réincarner par le jus de l’émotion, le choc esthétique… réhumidifier par la trempe / dé-souiller / épiler-peler par l’épilage-pelanage chimique / écharner les restes de chair et de graisse / déchauler en complément du travail de rivière / préparer au tannage.taner la peau brassée par les tanins de l’imputrescible.sels de chrome / tanins végétaux.écorces d’arbres / refendre la fleur.refendre la croûte / affiner la précision de l’épaisseur des fleurs et des croûtes par le dérayage / retanner / teindre / nourrir / essorer / étirer le cuir par la mise au vent.
Sécher par circulation d’air chaud.séchoirs.sur glace.sous vide / assouplir par le palissonnage / poncer.cuir velours.nubuck.fleur corrigée finition aniline /semi-aniline/ pigmentée
Vu ce « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » que constituent les marionnettes d’Asie, à l’exposition temporaire de l’Espace Saint-Pierre des Minimes. Que j’aurais aimé voir le dalang manipuler ces figurines ! Entre la lampe et le drap, enveloppé par l’orchestre gong de gamelan et de la flûte suling, le dalang aurait prêté sa voix à tous les personnages tout en développant tel argument du Mahābhārata ou tel autre du Rāmāyana.
Rituel obsédant de ces traditions anciennes, primitivement plus proche du mystère de l’humanité que les divertissements vendus / distribués par notre Société du Spectacle.
Le rituel du théâtre dansé indonésien, le Wayang Orang, avait pour rôle de canaliser la violence. L’Art-Thérapie s’en sert déjà.
À propos du théâtre dansé balinais, Antonin Artaud écrivait :
« Le premier spectacle de théâtre balinais qui tient de la danse, du chant, de la pantomime, de la musique et excessivement peu du théâtre psychologique tel que nous l’entendons ici en Europe, remet le théâtre à son plan de création autonome et pure, sous l’angle de l’hallucination et de la peur »*.
Le Théâtre et son Double puise son énergie dans le théâtre oriental. Le théâtre, polymorphe (danse, mime, musique, poésie) et hallucinatoire, se déploie dans le souffle spectral du Corps-Mots, comme son poète-acteur-dessinateur-décorateur-metteur en scène Artaud fut Homme-Théâtre ; son Double « s’effare des apparitions de l’Au-delà ». Véritable exorcisme de signes la mise en scène, aussi violente qu’une salle de travail, à l’architecture d’une profondeur égale à celle de sa mémoire ancestrale, ritualise, met en transe et libère ce feu intérieur gardé par l’âme spirituelle collective, l’Om/l’On(l’Homme)-carcasse fracassée- incendié dans son individualité indivisible.
« De même que la peste », écrivit Artaud, « le théâtre est fait pour vider collectivement les abcès ». La révélation touche la trace symbolique, purge les nuances obscures de l’homme, les signes spirituels menés jusqu’à la transe invoquent un théâtre agissant. Or ce qui agit se révèle cruauté. Ses personnages « hiéroglyphes animés » défoulent les énergies viscérales du corps et de la voix.
Réincarner le rêve de « l’homme total ».
Et « faire trisser le son jusqu’à ce que la fibre de la vie grince » (propos rapporté par Paule Thévenin).
* Le Théâtre Balinais, à l’Exposition coloniale, Antonin Artaud, nrf n°217, 1956
Vendredi 15 décembre 2017
Le poème serait thanatopracteur
nettoyeur
des saloperies sur le corps incarcéré
du quotidien fossoyeur
des denrées carnassières
Lèche
lèche le sang noir
et croque l’orteil
Sens, hume, renifle
ce que pressentent avant toi
les autres bêtes sans le savoir
La nuit vient
à l’aveugle entre les branches
du sommeil
l’odeur d’un pressentiment
déterre
racle
l’humus du verbe
dans les signes hallucinatoires
D’étonnantes transes de possession
délivrent le cadavre de soi
recomposé par la métaphysique
vrillée au Bardo Thodol
viscéral
Barong et Rangda
la Veuve-Sorcière, la Bête
retournent l’apocalypse
en son envers spectral
qui sauve l’univers
Le poème sera thanatopracteur
nettoyeur
des saloperies sur le corps incarcéré
du quotidien fossoyeur
des suffocations carnassières
D’après Artaud, MCDem
Murielle Compère-Demarcy
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