Le journal de MCDem (10), par Murielle Compère-Demarcy
Dimanche 10 décembre 2017
Neige fondue
les pensées tombent
des nerfs de glace se crispent
dans la tête
Le sapin de Noël s’est recouché
on attendra demain
S’allonger dans l’hiver
après la première lessive
des souvenirs salis
La flamme d’une neige rousse
allume le cœur
de l’âtre
aux branches d’oiseaux
La chambre-citadelle
dans l’insert de tes yeux regarde
les sentinelles du lointain
Une allumette fend
de son bois rouge soufré
le margotin d’un passé
dénicheur désailé
En attendant
corps fondus
le rêve dur
réchauffons-nous les mains
Reçu le nouveau numéro de la Revue trimestrielle de poésie, Décharge. Une belle « entrée » et de belles « pièces » principales… Le moteur de Décharge est rôdé – Jacmo en « collectionneur de numéros de la revue Décharge » nous le rappelle dans l’Intro de ce numéro 176. « La revue, arrivée à un certain moment de son existence, avance toute seule ».
L’avantage de ce moteur singulier réside dans l’impossibilité de son obsolescence : tant qu’il y aura des poètes… ; sa révision s’effectue sur le mode collaboratif : tant qu’il y aura des lecteurs, des abonnés… Un Droit de suite nous offre des inédits de Patricia Cottron-Daubigné, remarquables par une écriture autre que celle rencontrée dans Croquis-Démolition (éd. de la Différence) signant une poésie de circonstance et Ceux du lointain dédié à l’exil et aux migrants (éd. L’Amourier) dont Claude Vercey en ce numéro 176 nous donne une lecture. A l’entrelacs de la chair et du chant, Patricia Cottron-Daubigné débroussaille l’intime au cœur du corps féminin, source et ventre du monde, Femme broussaille, la très vivante, née « feuillage » et poussant des racines à la cime dans l’obscur silencieux des rameaux de lumière soulevée par des vents sensuels. Sauvages cris de la retenue, des « femmes murées et silencieuses », « insolentes sirènes enchantées » accompagnent l’avancée de la femme-poète, tissée, corps ouvert, dans la dentelle du temps. Se brode, aux doigts de la terre fouillée, dans l’aération du jour délesté du « ciel des dieux » et de « la fabrique des hommes », le poème des mots, le poème du monde. Le clair-obscur – de celui qui écoule en ses veines une pleine lumière densifiée dans le vitrail de notre chair faite chant, dans la résille de notre regard – enracine l’arbre du poème à même la course violente des torrents. Quelque chose de baroque circule dans ces textes, pourtant d’intime recueillement. « Je suis du temps nocturne / déversé dans le jour », écrit Patricia Cottron-Daubigné. Se mêle dans la voix de ses poèmes celle de la Femme Une-Unique-Double (« et triple et plus encore, femme ! »), Femme-Médée, « Médée le midi d’une femme » (Midi Médée médite), foyer en proie aux flammes incendiaires, ventre ouvert aux brutalités, seins de braise couvant sous la cendre, brasier brûlant sa violence dans le sang, « femme-amante, femme-brûlure ». Femme qui tuera l’homme, dans ces éclats de sexe osés du côté de la nuit féminine, Femme cependant toujours aux côtés de ses enfants, demeure maternelle libre dressée dans la puissance de sa résistance, défaite du joug patriarcal. Quelque chose du sexe et de l’effroi qu’évoqua Pascal Quignard, dont la figure de Médée ici reprend celle de Medea (Pascal Quignard, éd. Ritournelles), le texte de Patricia Cottron-Daubigné, d’ailleurs – l’incipit nous le précise – a été « généré en quelque sorte par ce vers répété “Midi Médée médite” dans le Medea de Pascal Quignard ».
« Midi Médée médite,
torche brûlante elle-même
la même quand elle aime quand elle hait
et l’âme plus noire,
prise par le sang,
le corps arrache le corps.
Elle n’est pas mère, elle n’est pas l’épouse, elle est la vio-
lence dans le sang.
L’air autour d’elle tremble comme tremble son corps, dur ».
On retrouve cette ambivalence, à l’état brut, décisive en chaque versant de la pureté, de l’absolu dont la soif peut brûler un être, entièrement, quitte à le désintégrer, dans l’écriture fragmentaire de Quignard. Immortelle, Médée est lame « corps métal chauffé à blanc » plantée dans la chair mortelle de la douleur pour l’embrasement de l’absence de l’homme, « murée muette Médée accouche la mort ».
Après cette belle entrée dans le numéro 176 de Décharge, la visite se poursuit par le hasard dans une autre pièce, pas tout à fait étrangère puisque la présence qui l’habite marque le territoire poétique depuis suffisamment de temps pour qu’on l’ait un jour rencontrée et remarquée. Poésie de circonstance celle de Lucien Suel, le « jardinier du Nord », l’est également, en quelque sorte, constamment reliée à ce texte multiple de l’actualité dont le poète nordiste, célébrant aussi souvent la terre nourricière, donne des interprétations dans des partitions de poèmes-express, « prose bop spontanée à l’assaut des slogans », expérimentations, textes poétiques de l’Underground, dans une organisation de vers justifiés parfois. Sombre ducasse, comme si c’était aujourd’hui… en donne l’envergure, la tonalité :
« De nos jours, l’imprimante est laser ou 3D
(nous sommes à des pixels-lumières du « crépitement de l’imprimante à aiguilles raccordée au premier ordinateur »…)
l’encre est numérique,
la revue est un blog, (N.B. Décharge n’est pas qu’un blog)
la maison d’édition est un site,
l’underground poétique se tweete et se retweete.
Tout est faux. Rien n’a changé.
Communication croissance consommation contrôle.
Standardisation du citoyen-citadin-conso-mateur.
Les prévisions météorologiques restent sombres
avec des flaques de lumière ici et là,
maintenant ou ailleurs : zestes de drogue sexe & rock’n
roll,
prose bop spontanée à l’assaut des slogans
par la méthode cut-up – coupé collé découpé décollé –,
poèmes ready-made express,
mixages verbaux monstres,
profusion et désinvolture gaie de la langue,
délire de la lyre,
notes sur le décor moderne et son éparpillement,
mysticisme punk rustique,
auto-dérision, zéro nostalgie.
La formule individu brille magnifiquement dans le noir »
Soulignons la tentative d’aération de la vie, des mots, opérée par Patricia Cottron-Daubigné et Lucien Suel, via la poésie – cet état hors de soi « hors des jours alignés » dont parle la première dans son interview avec Claude Vercey, si sensible dans le texte Écrire et si rien, que l’on retrouve dans le corps textuel de Lucien Suel qui, lui aussi, aère la langue. Cette tentative d’aération s’effectue dans le « bruissement de la langue », « un taisir sans abord » pour reprendre les mots de Pascal Quignard, depuis la chambre d’écho où les mots cognent, contre caisse de résonance, par l’espace acousmatique du corps.
La visite se continue – et s’achève pour ce jour : les « bonnes feuilles » se dosent, si l’on veut en retenir les lignes essentielles – toujours dans le désordre feuilleté de la mise en pages, avec le poète Michel Merlen, « dans la fracture du soleil » (Hubert Haddad).
Chez Michel Merlen la poésie ensemence la vie. « Je n’accepte pas que le sexe de la poésie / ne fleurisseplus dans la galaxie du vivre / faisant monter ainsi le foutre des couleurs ». Le réel s’y prend dans « sa mise en scène par le hasard », dans « la grossièreté pure du vivant », dans ses aléas nécessaires et ses arbres artificiels. Page 52 les titres m’arrêtent, sur le seuil du voyage : Les Fenêtres bleues, Fracture du soleil, Les Rues de la Mer, La Peau des Étoiles, Quittance du vivre, Abattoir du silence, Poèmes Arrachés, Le Désir, dans la poche revolver… Mais laissons s’entendre la poésie simple, avec ses images « à la fois brutes et lumineuses » (Jacmo), de celui que l’on surnomma « le jeune homme gris », disparu le 30 juin 2017 :
« Il était décidé à ne rien faire
Mais il n’eut pas la force nécessaire
Il fallut qu’il se commette avec les mots ».
Le moteur de Décharge tourne assurément, redémarrons-le bientôt pour avancer encore sur la route infinie du Poème. La poésie y voyage, loin, même à demeure…
Murielle Compère-Demarcy
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