Le jardin sous la neige, Jean-Michel Maulpoix (par Philippe Leuckx)
Le jardin sous la neige, Jean-Michel Maulpoix, Mercure de France, mars 2023, 128 pages, 16 €
Ecrivain(s): Jean-Michel Maulpoix Edition: Mercure de France
Lyrisme et mélancolie se retrouvent dans ce cinquantième livre de l’auteur, né en 1952 et souvent fêté. Dernière bourse Goncourt de la poésie, Maulpoix est assurément l’un de nos meilleurs poètes de langue française mais aussi un essayiste exigeant, fervent défenseur de Bonnefoy, Verlaine. On lui doit ainsi le brillant Les 100 mots de la poésie (PUF, 2018).
Les poèmes repris sous le titre de la neuvième et dernière partie du livre disent combien la saison morte abreuve de chagrin, de nostalgie, pour l’âge, pour la femme aimée. « A la saison froide » sert d’anaphore à ces textes qui disent le délitement, la perte, les regrets, la solitude.
En brèves proses, tout est suggéré, évoqué dans une langue fluide, ponctuée des tirets d’un dialogue de l’auteur avec soi, puisqu’il ne faut pas « se résigner à tituber » mais poursuivre l’écriture coûte que coûte. Bien sûr, il y a les auxiliaires du rêve, de l’imagination et du sommeil, afin que tout ne soit pas perdu.
Les sections ont de beaux titres : Saison froide – Cendre du désir – La nuit venue – Les mains bleues – Rue des pleurs – Toiles d’araignées – Jamais de la vie – Une vie de papier.
Le bleu du poète, si souvent décliné, y retrouve place, et « Rue des pleurs » évoque à une lettre près le dernier recueil, Rue des fleurs.
D’une longue traversée vers la neige inaugurale – celle des mots, de la mémoire, le poète sans cesse frôle et commente la mort, la disparition. Il y est question parfois du sort réservé aux poètes : les figures de Stéphane (Mallarmé) et de Paul (Valéry) signalent combien nous sommes périssables et promis à Madame Lamort.
Mais Le jardin sous la neige recueille des perles : celles de l’écriture lente et sûre, qui restera elle. Dans de belles proses inventives, le poète parle étonnamment de l’écriture : « Parfois les mots me viennent sans peine, et semblent m’être donnés comme une grâce. Parfois, ils s’échappent, se rebellent, et parlent entre eux sans que je les comprenne. Ils disent alors des choses étranges ! » (p.97).
Depuis l’ombre, depuis la nuit, depuis l’autre de nous, le poète parle, évoque ses parents, la lente disparition des choses qui ont prévalu, « le chuchotement des ombres de celles et de ceux qui ont disparu ? ».
Le poète « vient des grandes solitudes » (mot de la fin) : il résume là sa position, sa posture, la difficulté d’être fait, d’être tissé de poésie, de phrases, de mots, de n’être qu’en littérature. Belle définition (probe, efficace, si dense) de tout destin littéraire, ici magnifié par des poèmes en prose de toute beauté, d’une fluidité imparable.
L’on voudrait, de ce livre magnifique, tout citer tant l’écriture recèle de petits miracles de concision, d’images qui portent loin la réflexion, quand tout tend vers une quête, jugée impossible, et que cette quête nous laisse ses traces les plus pures, de vrais poèmes d’une nostalgie à briser le cœur :
« Enfin débarrassé de moi-même. Laissant la place à la vérité de mes mensonges ! » (p.96).
Le poète, sinon, « sollicite le droit de survivre en phrases, en segments de langue, en adjectifs, en images… ».
Un bien beau jardin de poète, dont je recommande vivement la lecture.
Philippe Leuckx
Jean-Michel Maulpoix, poète, essayiste, professeur de littérature, et spécialiste du lyrisme poétique, est l’auteur d’une cinquantaine de livres de poésie. Citons : Un dimanche après-midi dans la tête ; Les abeilles de l’invisible ; Le voyageur à son retour ; Rue des fleurs. Prix Max Jacob, Prix Goncourt de la poésie.
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