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Le Jardin de derrière (7) - Où l’Association prend de l’importance. Les tunnels aussi

Ecrit par Ivanne Rialland 14.01.15 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

Le Jardin de derrière (7) - Où l’Association prend de l’importance. Les tunnels aussi

 

Le mercredi matin, Georges fit un saut chez le notaire à L’Isle-sur-Serein. L’ancien propriétaire l’avait déjà appelé, visiblement inquiété par son coup de fil. Le notaire était assez jeune et ne savait rien de cette histoire de buses. Il se demandait mollement si cela pouvait être considéré comme un vice caché, mais Georges le rassura : les buses, la salle de bain, tout lui allait très bien. Il ne demandait rien, n’attendait rien. Il avait juste trouvé cela curieux.

– En tout cas, maintenant, ce sont vos buses, avait conclu le notaire en le raccompagnant à la porte. Georges en éprouva une étrange allégresse.

Kevin et Julien arrivèrent avec la camionnette à 14 heures très précises, une fille avec eux, un peu plus jeune, l’air timide. Georges les envoya au grenier où il avait trié la veille ce qu’il voulait jeter et ce qui pouvait encore resservir. Les jeunes, en passant, lançaient des regards curieux sur le séjour, la cuisine, les travaux en cours. Refusant l’aide de Georges, ils gravissaient puis dévalaient d’un pas léger l’escalier de devant et l’échelle menant au grenier, chargés de vieux cartons, d’une chaise cassée, portant à deux une malle au fond rongé par la rouille.

Ils avaient toujours assez de souffle pour parler de leurs projets, par bribes, à l’occasion d’un croisement dans le couloir, d’une descente d’escalier ralentie par un carton encombrant. La nouvelle était l’installation future du pépiniériste que Catherine avait apprise la veille à Georges : autant que la femme du jardinier, quoique sur un mode plus exubérant, les jeunes étaient tout excités par les perspectives d’emplois qui s’offraient à eux : le pépiniériste c’était « des jobs », au printemps surtout, de quoi économiser pour les vacances, pour une mobylette, et pour l’Assoc’, le tout étant lié dans leur esprit, d’une façon qui restait mal perceptible à Georges, mais où il semblait y avoir des histoires de camping, de rassemblements de jeunes, et d’une mobylette qui serait très utile pour la communication, point de vue défendu par Julien, un peu fallacieusement combattu par Kevin, pour qui « ce n’était pas jouer collectif ». Julien, son innocent égoïsme ainsi dévoilé, rougissait furieusement, et acceptait d’avance de financer avec sa future paye piquets de tente, pelles américaines et sacs de couchage que Kevin se faisait fort de dégoter à des prix imbattables dans un surplus de l’armée. La fille approuvait, nuançait, travaillait dur et regardait Georges par en dessous.

Georges, au pied de l’escalier de devant, alors qu’ils s’apprêtaient à repartir, leur annonça l’arrivée de ses enfants pour le lendemain et leur demanda si l’Association comprenait des enfants de leur âge. Ils auraient été ravis, affirmèrent-ils, d’avoir de nouvelles recrues, mais les enfants de Georges étaient un peu jeunes, disaient-ils avec une sorte de moue désolée. Pierre oui, puisqu’il avait 16 ans, ça se pourrait… Il serait le plus jeune, c’était quand même ennuyeux, les autres avaient plutôt dans les 18 ans. Leur président avait 25 ans, et il y avait plusieurs adhérents qui travaillaient déjà. Kevin craignait aussi « le choc des cultures ». Il ne développa pas, et Georges se demanda en effet si Pierre pourrait s’entendre avec ces adolescents et leurs rêves de camping et de mobylette. Mais est-ce qu’il n’y avait pas après tout une sorte d’universalité de l’adolescence, qui ferait que Pierre, au bout de deux jours, ne souhaiterait rien de plus que de faire pétarader sa mobylette sur une départementale, tandis que Julien taperait comme un sourd sur la batterie de Pierre au fond de la grange ? Pendant ce temps, Kevin et Julien avaient repris leur ode à Louis, le jeune fermier qui présidait l’Association et dont la ferme était là, à la sortie du village, c’était tout droit, puis à gauche. Louis était du coin, mais il était parti pour étudier, et ensuite il avait passé trois ans dans l’armée – Georges remarquant in petto cette lacune dans le portrait brossé par Catherine Martineau. Il avait été en Afrique, au Sénégal. Il était revenu, il avait repris la ferme. Julien, ou Kevin, alors reprenait, revenait en arrière. Louis avait été au lycée d’Auxerre. Ils savaient par des potes qui avaient étudié là qu’il y avait laissé une petite légende : c’était un dur, pas le mauvais gars, juste le genre qui n’aime pas trop qu’on lui dise fais ci fais ça. Un peu chef de bande aussi. Avec l’armée il avait compris ce qui est important : chacun sa place, chacun son rôle, sa fonction. À la ferme, il était à sa place, il était dans son rôle. C’était ça un des buts de l’Assoc’ : aider à trouver sa place. L’Association c’étaient des jeunes qui ne voulaient pas traîner à ne pas savoir quoi foutre, à 20 ans passés, ni bosser au Mac Do en attendant de trouver leur voie qu’ils ne risquaient pas de trouver vu qu’ils ne cherchaient pas, c’étaient des jeunes aussi qui ne voulaient pas faire des études qui ne servent à rien. Trouver sa place, son rôle, être autonome avec ses projets à soi, ses buts. D’ailleurs, l’idée qu’il avait là, Georges, de faire sa propre électricité, ils trouvaient ça génial, fallait pas écouter les gens (quels gens ? se demanda Georges), et ils aimeraient vraiment aider, ça leur apprendrait beaucoup, ils en étaient sûrs et produire son électricité, avec la dérégulation (ils disaient déréglation) de la concurrence ça allait devenir rentable, un de leurs profs leur en avait parlé.

Georges s’étonna qu’ils soient si bien renseignés. Le maire avait dû en discuter, peut-être avec le conseil municipal, ou avec l’un quelconque de ses administrés, le père d’un des deux gamins ? C’était un village, un tout petit village, tout se savait, forcément. Il répondit aux questions des adolescents avec réticence. Tout à coup, il n’aimait pas le silence de la jeune fille, avec ses regards par en dessous, et l’enthousiasme de Kevin et Julien lui paraissait un peu suspect. Il minora la taille des buses, parlant de 20 cm de diamètre. C’était sans doute un mensonge inutile : Kevin et Julien avaient vu les buses dans la grange. Mais peut-être qu’ils n’avaient pas fait le rapport, ou qu’ils n’y avaient pas fait attention sur le moment.

Les jeunes soulignèrent un point important : pour que ça marche, il fallait nettoyer les biefs, et pour ça, il aurait besoin de bras. La jeune fille approuva d’un hochement de tête. C’était indéniable, Georges ne se voyait pas pelleter tout seul, ni même avec Pierre et Louise, tous ces kilos de vase puante. Kevin et Julien insistaient. Ils feraient ça gratuitement, juste parce que le projet était intéressant. Et il leur avait déjà donné beaucoup de choses, ils pouvaient bien faire ça pour lui. Il n’aurait qu’à faire en échange un peu de pub pour l’Association, s’il était content de leur travail. Ils en rajoutèrent une couche sur l’écologie, et l’autonomie, et expliquèrent que Louis pensait mettre des éoliennes dans ses champs, même si les voisins râleraient sûrement, parce que ce n’était pas trop joli, sans parler du bruit.

– Pourquoi pas des panneaux solaires ? Ou la géothermie ?

Georges se détendait, et se prenait au jeu. Kevin et Julien, un moment embarrassés, finirent par répondre que Louis y avait probablement déjà pensé, qu’ils lui en parleraient quand même, au cas où, ou que Georges lui en parlerait quand il le rencontrerait, ce qui ne saurait tarder, c’était sûr. Le couplet sur Louis redémarra alors : Louis produisait dans sa ferme presque tout ce dont il avait besoin, il allait au supermarché deux, trois fois par an max, alors, bien sûr, il n’avait pas beaucoup de sous pour s’acheter des vêtements, des DVD, ce genre de trucs, mais ça valait la peine. Ça valait vraiment la peine.

Georges se retint de sourire. Après tout, peut-être que c’était vrai, que ça en valait la peine, que Louis méritait cette ferveur, que son projet aussi, ses turbines, ses buses pouvaient être considérées avec cet enthousiasme. Que ce n’était pas une si mauvaise façon de voir les choses et qu’au fond, la chaleur qu’il ressentait au fond de lui depuis quelques jours c’était ça aussi : de la ferveur.

Alors Georges les questionna encore, amusé, ému, presque troublé.

– Et pour se chauffer ?

– Il a son bois bien sûr, s’exclama Kevin aussitôt.

– Et aussi, il dit qu’il va pomper de la chaleur, dit tout à coup la jeune fille.

On la regarda, elle rougit. Georges la regarda mieux. Elle était très jolie, en fait, cette jeune fille, avec ses yeux bleus un peu naïfs, sans cesse voilés par ses cils qui formaient sur ses joues des ombres mouvantes. Elle paraissait toute fine et délicate dans son tee-shirt et son jean un peu larges. Elle avait 16 ans, 17 ans, guère plus.

– Il l’a dit, répéta-t-elle, têtue, et Kevin et Julien, après une hésitation, approuvèrent.

Elle portait autour du cou une médaille religieuse en or, assez grosse, qui semblait représenter Jeanne d’Arc. Elle devait s’appeler Jeanne : Georges ne se souvenait pas de son prénom, il se demandait même si les deux autres l’avaient présentée. Georges pointa la médaille du pouce : « Sacrée patronne que tu as là ». Elle rougit très fort, ne répondit rien. Les deux autres semblaient gênés. Georges s’en voulut un peu, se détourna, s’éloigna, laissant les trois jeunes arranger ce qu’ils avaient récupéré à l’arrière de la camionnette. Il pensa d’abord qu’il avait dû les choquer avec son juron, même si Kevin ne lui avait pas paru vraiment pratiquant, à la différence de Julien. Il apprit plus tard, au hasard des conversations dans le village, que la mère de Jeanne était une active militante du Front national, qui défilait autour du monument aux morts chaque 31 mai avec ses amis bleu marine.

Les autres jeunes, c’était de ça dont ils bavardaient à présent, en grattant à ses côtés la vieille peinture du couloir. Pensant qu’après avoir chargé la camionnette, ils lui diraient au revoir et partiraient, Georges s’était mis en attendant à la peinture. Il entendit comme prévu leurs pas monter l’escalier, mais ce fut pour se saisir aussitôt d’un grattoir. Kevin s’arrogea très vite la ponceuse, et s’attaqua au plafond, juché torse nu sur un escabeau, bientôt couvert de poussière blanche, le nez et la bouche protégés par son tee-shirt. Ainsi couvert de plâtre, il avait l’air d’une statue soviétique à la gloire de la jeunesse laborieuse. Tous avaient les cheveux blancs de poussière et les yeux rouges, mais à 17h30, le couloir était prêt à être repeint. Les jeunes lui demandèrent alors à voir le bief et Georges, cédant à une impulsion, les emmena. Ils traversèrent à la queue leu leu le jardin derrière, montèrent à l’échelle et furent au bord du bief, les uns à côté des autres sur le pourtour de béton. Ils regardèrent l’eau stagnante, le vieux moulin. Il y eut un silence. Georges le brisa, maladroitement, en leur demandant ce qu’ils pensaient de Mme Chaussas. La question était abrupte, le silence retomba, et Georges se rendit compte qu’il suffisait que la voisine fût dans son jardin, dont à cet endroit seul un mur assez bas les séparait, pour qu’elle entendît tout. À sa confusion, les trois jeunes finirent par répondre, à voix assez basse cependant, en confirmant ce qu’il savait déjà : Mme Chaussas était une commère. Il y avait un peu plus que ça dans leurs propos, dans leur ton, les tournures de leurs phrases : ils ne l’appréciaient pas du tout, c’était certain. Elle devait être du genre à dénoncer aux parents les sottises des gamins.

Kevin se mit à énumérer à haute voix le matériel qu’il faudrait pour assécher et curer le bief, et expliqua la manière de s’y prendre. Il semblait très sûr de lui, très à son affaire. Ils réfléchirent ensemble à ce qu’ils pourraient faire des poissons, Jeanne glissant quelques suggestions d’une petite voix. Ils étaient prêts à venir dès le vendredi. Le jeudi, ils ne pouvaient pas : c’était l’Ascension, et ils avaient tous de la famille à déjeuner. Bien sûr. Georges hésita. Ses enfants seraient là, il ne savait pas si… Et puis tout cela lui paraissait précipité. La semaine prochaine ? On verrait. Kevin lui redonna son numéro de portable. Ils voulurent visiter le vieux moulin. Georges refusa, prétextant un rendez-vous. Il devait partir, tout de suite. Il les raccompagna à la camionnette, en passant par la rue qui longeait l’église et descendait raide, jusqu’à la route. Il regarda Jeanne monter à l’arrière, Kevin fermer les portes, s’installer au volant. Julien fit au revoir par la vitre de la portière, un geste un peu maladroit, retenu, touchant. Georges les regarda s’éloigner. La camionnette disparut dans le tournant.

Il traversa la cour, monta l’escalier, longea le bief, ouvrit la porte du vieux moulin, un coup d’œil par dessus son épaule, la referma, s’y adossa. Il examina les lieux, minutieusement. Il y avait un verrou à l’intérieur, qui avait l’air d’assez bien tenir. La serrure à l’extérieur était rouillée, le verrou, lui, était neuf, fonctionnait bien. Les planches de la porte étaient légèrement disjointes, le bois était vieux mais il tenait le coup. Georges chercha la clé dans le trousseau. Il l’avait, en effet. Il fermerait la porte en partant. Il ne faudrait plus qu’il la laisse ouverte. Le moulin était aussi en meilleur état que ce qu’il paraissait au premier coup d’œil. Les murs étaient bons, la toiture aussi, le sol était sec. Tout était recouvert d’une poudre grise, comme de la terre sèche. Il suffirait d’un coup de balai, d’autant plus que la pièce était vide : pas trace de roue, d’essieu, de meule. Un banc en bois et la trappe en béton dans le sol avec une poignée en acier. Il ferma le verrou, s’accroupit, tira la poignée. La trappe semblait bloquée, il appuya sur ses pieds, sentit une douleur fulgurante au bas de son dos, il s’obstina, et la trappe s’ouvrit. Un trou dans le sol, une courte échelle en fer, le départ de la conduite et tout le système compliqué de manettes, qu’il supposait commander l’arrivée d’eau et réguler le débit. Il regarda mieux et il s’étonna. S’il s’agissait de relier les deux biefs, la conduite était beaucoup trop en amont. Il y avait peut-être de l’eau, encore plus haut ? Tout paraissait sec. Il descendit dans le trou, s’accroupit. Là encore, il y avait deux tunnels : la conduite qui descendait, et passait sous le bief, et un tunnel qui montait en direction de l’église. Celui-là était très différent. Il ne s’agissait pas d’une buse, mais d’une maçonnerie ancienne, renforcée de ciment et de poutres en acier. Le tunnel était assez haut de plafond et on pouvait y marcher en se courbant. Au bout d’un mètre à peine, il était fermé par une porte en béton armé dont les charnières d’acier étaient fixées dans la pierre. En examinant de près la porte, il se demanda si les manettes n’en étaient pas le système d’ouverture. Il se mit à les tripoter, espérant que derrière il ne trouverait pas un boyau inondé dont l’eau se déverserait brutalement dans les buses. Il tâtonna, tourna des petites roues dans un sens, puis un autre, appuya sur des leviers, tira des manettes. Une aiguille bougea sur un vieux cadran, il entendit un glougloutement, un cliquètement, il aspira un grand coup d’air. La porte semblait débloquée. Rien ne se passa. Il expira lentement, il s’avança. Il tira la porte vers lui. Derrière, il n’y avait que le noir. Le tunnel continuait.

Il remarqua à ce moment autre chose. Sous un de ses pieds, le sol s’était légèrement affaissé : dans le sol recouvert de béton de l’ancien tunnel se découpait une nouvelle trappe. À tâtons, il saisit sa poignée d’acier peinte en gris mat, couchée à plat contre le béton, invisible dans la pénombre. La trappe s’ouvrit sans difficulté. Une échelle de métal s’enfonçait dans le noir. Georges n’hésita pas, descendit. Ce n’était pas très profond : dix barreaux. Au bas de l’échelle, il tâtonna à nouveau, trouva un interrupteur, l’enclencha. Une ampoule grésilla avant de s’éteindre. Georges avait eu le temps de voir, en un éclair, où il se trouvait. Une pièce entièrement bétonnée, absolument carrée, basse de plafond. Des boîtes partout, des cartons, des bonbonnes. C’était un abri anti-aérien.

Précipitamment, Georges remonta les deux échelles, ferma les trappes, claqua la porte du moulin, et courut à la maison chercher sa lampe torche. En un instant il était de retour, il braquait sa lampe partout. Il y avait une couchette le long du mur de droite, une petite table et une chaise en face. À l’opposé de la porte, des toilettes chimiques, à moitié dissimulées par un paravent, et un empilement de boîtes. Le reste des murs était occupé par des étagères qui montaient jusqu’au plafond : boîtes de conserve, riz, sucre, chocolat en poudre. Des bonbonnes d’eau, en quantité. Des livres également : quelques romans policiers à la couverture fatiguée, les deux volumes reliés du Comte de Monte Cristo,La Guerre des Gaules dans une édition scolaire et une édition non coupée de Jacques le fataliste. Pas de nom sur les livres. Les achevés d’imprimer s’échelonnaient entre 1932 et 1958. Les boîtes de conserve étaient à consommer avant 1968, 1969, et puis, pour tout un lot, 1976.

L’électricité venait sans doute d’un raccord au système de la maison, ou directement d’une ligne à haute tension. Il y avait un petit générateur à essence, également une lampe à manivelle. Peut-être que la turbine était destinée à ça, à ça seulement : alimenter l’abri. L’autonomie, comme disaient Kevin et Julien. Ça plairait sans doute beaucoup à Louis, tout ça. L’homme est une île, avec son lit une place, ses boîtes de conserve, et les mots croisés du Reader’s Digest sous l’oreiller. Avec ses toilettes chimiques, un générateur à pédales et une douche à manivelle. Georges remonta l’échelle, referma la trappe, fit jouer les manettes et les petites roues, tira, poussa les leviers. La trappe se referma hermétiquement. La porte en béton restait grande ouverte. Georges, le dos courbé, s’engagea dans le tunnel.

Le sol montait régulièrement, en pente douce. Après la porte, le béton avait fait place à des dalles irrégulières, posées sur la terre battue. Partout, la maçonnerie des murs avait été renforcée. Pourtant, il sentait régulièrement de la terre s’effriter sur le sommet de son crâne, et le plafond du tunnel était à plusieurs endroits bombé d’une façon peu rassurante. Georges, malgré lui, accélérait le pas, se cognait, trébuchait sur les dalles. Il tomba à deux reprises, sentit l’humidité de la terre sous ses doigts, s’interrogea. Il continua son chemin. Tout à coup, il fut dans une salle entièrement maçonnée, au plafond voûté. Il alluma sa lampe. À ses pieds, les dalles étaient gravées d’inscriptions presque effacées. Des noms, des silhouettes dans la pierre, des lions et des épées. Il était évidemment dans une crypte. Devant lui, un escalier, à moitié écroulé. Une porte à moitié pourrie. Une autre pièce : un crucifix, un autel, une statue. Une autre porte qui donnait sur l’extérieur, dont le haut était grillé à jour. Il était dans le cimetière, dans une chapelle désaffectée adossée à l’église. Georges poussa la porte, qui s’ouvrit péniblement de quelques centimètres, en grinçant sur le sol de pierre. Il s’arrêta tout à coup, croyant entendre un bruit. Un pied quelque part avait fait rouler une pierre, une porte avait claqué, il ne savait plus. Le silence s’était-il approfondi, un oiseau s’était-il tu ou était-ce seulement son cœur qui battait trop fort ? Il tâcha de voir par l’ouverture, il essaya de refermer la porte sans bruit, mais le bois raclait la pierre. Elle était enfin fermée. En toute hâte, Georges parcourut le tunnel en sens inverse, le pas précipité par la descente, les épaules crispées, la mâchoire contractée. Il franchit enfin la porte de béton, se rua sur les manettes, les leviers. Il tourna les petites roues, les engrenages cliquetèrent et claquetèrent, la porte se ferma. Il la regarda, songeur. Son béton, son acier ne le rassuraient guère. Il ne pouvait oublier le passage qui guettait là derrière. Une porte a beau être fermée, son destin est d’être empruntée.

 

Ivanne Rialland

 

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Ivanne Rialland est écrivaine et chercheuse. Elle travaille à l'heure actuelle à l'université de Versailles-St Quentin en Yvelines.