Le Jardin de derrière (24 & FIN) Où il n’y a pas de fumée sans feu
Georges et Hélène étaient accoudés sur le balcon, regardant le ciel de juillet se foncer insensiblement, laissant apparaître les premières étoiles. Un peu plus d’un an s’était écoulé. Hélène s’était installée à l’automne dans la maison et passait deux ou trois jours par semaine à Paris. Louise et Pierre allaient au collège-lycée d’Avallon. Pierre ne voyait plus Tristan ni aucun membre de son groupe. Il en avait fondé un autre, avec qui il répétait ce soir-là dans une grange d’un village voisin. Louise fréquentait toujours les deux enfants du jardinier, avec qui elle était en ce moment même dans la grange, à regarder des DVD des Experts. Avec Camille Martineau, elle avait trouvé un job d’été à la pépinière qui avait enfin ouvert ses portes dans la ZAC. Elles y espionnaient Julien, qui rempotait des géraniums en rêvant à sa future moto tandis que la petite Jeanne distribuait en douce dans les rayons des tracts anti-avortement.
Georges et Hélène respiraient tranquillement l’air tiède du crépuscule. En tendant bien l’oreille, on aurait peut-être entendu le ronronnement de la turbine enterrée sous le pré, et peut-être encore le gloussement d’une poule en train de rêver, dans le poulailler tout neuf que Georges avait installé au printemps.
Leur regard fut soudain attiré par une lueur rouge éclairant le ciel sur leur gauche. Une colonne de fumée se découpait de plus en plus nettement sur le bleu foncé de la nuit tombante. Georges sourit dans l’obscurité, souffla : « Tobie… » Sa femme demanda : « La ferme de Louis ? » Georges acquiesça en silence. Quelques instants plus tard, ils entendirent une explosion, puis des sirènes, des pas précipités dans les rues du village, quelques jurons portés par le vent. Une deuxième explosion, la voix du maire dans un mégaphone. Un groupe de voisins vigilants dévala une rue au pas de charge. Les moteurs de deux mobylettes vrombirent.
Georges et Hélène, enlacés, rentrèrent dans la maison.
La nuit. Il referme avec soin la trappe au-dessus de sa tête et se met à ramper. Les souterrains sont à présents pleins de rumeurs, de souffles et de raclements. Il rampe, les yeux fermés dans les ténèbres, sentant l’air frais et l’humidité plaquer peu à peu son tee-shirt sur ses épaules. Au-dessus, au-dessous, d’autres marchent, d’autres rampent. Il y a des abris, des caches, des haltes partout. Des caisses défoncées pleines d’armes hors d’usage et de conserves rouillées. On rampe. On s’évite, on se cherche. Les tunnels s’étagent et s’entrelacent, tournent autour des obus des deux dernières guerres dont l’un ou l’autre, en explosant, entraînera dans les profondeurs les maisons et les jardins sous le regard fatigué du maire et de Mme Chaussas.
Georges, dans l’abri de la grange, pense nonchalamment à commencer une collection de cartes postales.
FIN
Ivanne Rialland
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