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Le harem, suivi d’Histoire du Calife Hakem, Gérard de Nerval

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 05.10.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Récits

Le harem, suivi d’Histoire du Calife Hakem, septembre 2015, 144 pages, 2 €

Ecrivain(s): Gérard de Nerval Edition: Folio (Gallimard)

Le harem, suivi d’Histoire du Calife Hakem, Gérard de Nerval

Publié en 1851, Voyage en Orient de Gérard de Nerval s’inscrit dans le courant orientaliste du XIXe qui a largement fécondé la littérature et la peinture française. Les récits de voyages vers un Orient mythique sont à la mode et fleurissent sous la plume de Chateaubriand, L’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), de Lamartine, Voyage en Orient (1835), de Théophile Gautier, Constantinople (1853), de Gustave Flaubert, Carnets de voyage à Carthage qui serviront de base aux décors de Salammbô (1862) et qui ne seront publiés sous leur forme originelle que récemment.

La récente publication des éditions Folio regroupe deux textes extraits de Voyage en Orient : Le harem, issu de la partie intitulée « Les femmes du Caire » et Histoire du Calife Hakem, tiré de « Druzes et Maronites ».

Dans Le harem, Gérard de Narval est installé au Caire, où il vit comme « un citoyen de cette ville » afin de mieux la comprendre et l’aimer. Il s’y promène, découvre, partagé entre émotion et déception, les ruines de mosquées, s’attarde dans les bains pour échapper à l’air torride et chargé de poussières du Khamsin, ou s’assoie aux terrasses des cafés, l’oreille tendue pour y écouter les chanteurs et les conteurs, sachant qu’il ne parle pas un traître mot d’arabe. Handicap qui va s’avérer particulièrement délicat à gérer lorsqu’il se pique d’acheter une esclave musulmane d’origine javanaise.

Depuis sa publication, Voyage en Orient a été étudié, disséqué sous de nombreux angles, mais il est rarement fait mention de l’humour qui en égaye certaines pages. C’est peut-être oublier un peu rapidement le côté farceur et l’humour parfois potache de cet ancien membre du Petit Cénacle. La narration par l’auteur des surprises qui s’accumulent et émaillent ses relations avec la jeune femme sont pourtant d’une drôlerie irrésistible.

L’incompréhension liée à la barrière de la langue, la volonté obstinée de « l’esclave » à être considérée à l’instar d’une dame et à se vêtir comme telle, son refus de s’abaisser à des tâches domestiques sont pour Gérard de Nerval autant d’anecdotes qu’il s’attache à décrire d’une prose vive, avec humour et sens de l’autodérision. C’est éminemment le cas lorsqu’il s’essaye à apprendre l’arabe et craint en cédant aux exigences de la belle, de voir ses économies s’envoler.

Il profite de chaque détail, de chaque rencontre, pour illustrer une civilisation qu’il découvre et dont il souhaite transmettre, fut-ce ici dans la galéjade, les réalités fort éloignées d’un Orient fantasmé par nombre de ses contemporains et profondément marqué par les réformes de Mohamed Ali, souvent calquées sur un modèle occidental.

Il met dans la bouche du cheik Abou-Khaled, un poète et philosophe, des jugements plus que sévères sur l’ignorance du peuple égyptien : « Les gens de notre temps savent à peine lire. Qui croirait que les plus savants, entre ceux qui connaissent l’arabe littéraire, sont aujourd’hui deux français ? » (p.42).

Quant aux ulémas qui passent tout leur temps dans les bibliothèques des mosquées, le cheik en livre un constat négatif : « Est-ce apprendre, que de rester toute sa vie, en fumant son narghilé, à relire un petit nombre des mêmes livres, sous prétexte que rien n’est plus beau et que la doctrine est supérieure à toute chose ? » (p.43).

Visitant un palais où les épouses du vice-roi se rendent l’été, Gérard de Nerval s’initie à la vie des femmes dans un harem, nouvelle occasion de prendre conscience que la polygamie est régie par des règles austères et des devoirs contraignants. Passage qui vaut au lecteur ce dialogue savoureux :

« – Je comprends alors, dis-je, que le mari ne tienne pas absolument à passer la nuit dans une chambre remplie de femmes habillées, et qu’il aime autant dormir dans la sienne ; mais il emmène avec lui deux ou trois de ces dames…

– Deux ou trois s’écria le cheik avec indignation ; quels chiens croyez-vous que seraient ceux qui agiraient ainsi ? Dieu vivant ! est-il une seule femme, même infidèle, qui consentirait à partager avec une autre l’honneur de dormir près de son mari ? Est-ce ainsi que l’on fait en Europe ? » (p.55).

Et Gérard de Nerval de compatir au sort des riches Turcs qui ne sont pas seulement maîtres chez eux.

Prosateur d’exception, le Voyage en Orient est aussi et surtout le prétexte pour Gérard de Nerval d’endosser l’habit de conteur. Déjà dans Le harem, il relate une légende attribuant au roi Saurid la construction suite à un rêve des pyramides trois cents ans avant le déluge.

Son séjour au Liban nourrira plus encore son imagination. S’appuyant sur les textes de Sylvestre de Sacy (1), il réécrit et s’approprie l’histoire de la légende du calife Hakem, à l’origine de la religion Druze. Texte d’une richesse métaphorique complexe et puissante. On y trouve nombre des obsessions de Nerval à commencer par le thème du double qui sera plus tard développé dans Aurélia, mais aussi son intérêt pour la magie des contes orientaux, l’étendue et la profondeur de ses croyances cabalistiques, sa fascination pour une folie clairvoyante et l’ivresse du haschisch qui « en troublant les yeux du corps, éclaircit ceux de l’âme », décrites avec des accents pré-baudelairiens, et enfin son credo en une religion qu’il considère à l’époque être le syncrétisme de toutes les religions et de toutes les philosophies antérieures.

Dans Le Moniteur du 25 février 1854, son ami Théophile Gautier écrivait à ce propos :

« La légende du calife Hakem, l’Histoire de Belkis et de Salomon montrent à quel point Gérard de Nerval s’était pénétré de l’esprit mystérieux et profond de ces récits étranges où chaque mot est un symbole : on peut même dire qu’il en garda certains sous-entendus d’initié, certaines formules cabalistiques, certaines allures d’illuminé qui feraient croire par moments qu’il parle pour son propre compte. Nous ne serions pas très surpris s’il avait reçu, comme l’auteur du Diable amoureux, la visite de quelque inconnu aux gestes maçonniques tout étonné de ne pas trouver en lui un confrère ».

Ce petit recueil est une invite particulièrement séduisante à se plonger dans la lecture intégrale deVoyage en Orient.

 

Catherine Dutigny/Elsa

 

(1) Sylvestre de Sacy (1758-1838), linguiste, philologue et orientaliste arabisant.

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A propos de l'écrivain

Gérard de Nerval

 

Ecrivain et poète français né à Paris le 22/05/1808 et mort à Paris le 25/01/1855, Gérard de Nerval naît sous le nom de Labrunie. Il doit grandir en l’absence d’une mère, morte peu de temps après sa naissance. C’est dans le Valois, lieu qui inspirera particulièrement ses œuvres, qu’il passe son enfance. Après ses études parisiennes, il s’adonne à l’écriture et, attiré par l’Allemagne, réalise une traduction réussie du Faust de Goethe. Durant sa jeunesse, de Nerval s’inspire des grands romantiques qu’il côtoie (Hugo, Nodier) et se lie d’amitié avec Théophile Gautier. Il participe à la célèbre bataille d’Hernani. Dès 1836, il s’éprend passionnément de Jenny Colon, qui en épousera un autre. Nerval en fera alors l’une de ses égéries. Mais l’esprit de l’écrivain commence à défaillir. Dès 1841, il est sujet à des hallucinations et à des crises de folie dont il s’inspire dans ses écrits. Paraissent ainsi Voyage en Orient (1851), puis les Filles du feu (1854). Dans ce recueil de nouvelles, dont chacune d’entre elles porte un nom féminin, l’auteur cherche à atteindre la figure de la femme inaccessible. Le recueil porte également une dizaine de sonnets regroupés sous le titre Les Chimères. De Nerval est retrouvé pendu en 1855. Après sa mort, une dernière œuvre paraît : Aurélia, qui marque sa volonté de fuir le réel par le rêve.

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

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