Le Grand Partout, William T. Volmann
Le Grand Partout (Riding Toward everywhere), (2011), trad. de l’américain par Clément Baude, 240 p. 22 €,
Ecrivain(s): William T. Volmann Edition: Actes SudLe Grand Partout est le récit d’un périple mené à travers les Etats-Unis par William T. Vollmann, selon la méthode hobo. Suivant les traces d’illustres prédécesseurs comme Henry David Thoreau, Ernest Hemingway, Thomas Wolfe ou Jack Kerouac, Vollmann a pendant de longs mois sillonné le pays en grimpant dans des trains de marchandises, en toute illégalité.
Pendant des heures, il se retrouve à guetter un train dans lequel il pourra sauter, un train dont il ne connaît pas toujours la destination.
« Comme je n’avais aucune raison d’y aller, je me suis embarqué pour Cheyenne ».
Il doit aussi veiller à éviter les « bourrins » les forces de sécurité ferroviaire dont certains membres ont la violence plus que facile envers les hobos qui resquillent.
Le but de Vollmann, comme celui de nombreux hobos qu’il croisera, et avec lequel il fera un bout de route, est d’atteindre « le Grand Partout », où se trouve la légendaire Montagne Froide, lieu mythique décrit par des sages chinois … mais qui ne pourrait s’avérer qu’un leurre.
Mais peu importe finalement. Comme dans tous les récits de voyage, ce qui compte plus que la destination, c’est le voyage en lui-même. Les rencontres, les aventures, les paysages, mais aussi la manière dont le voyage va faire réfléchir sur la condition de celui qui le mène, sur ses rapports aux autres et à sa famille.
Vollmann aime donner de sa personne. Comme dans l’un de ses précédents ouvrages, Les Fusils, où il était parti vivre dans le froid de l’Alaska, en plein hiver, pour tester la vie dans le grand froid – et sa résistance –, il a vécu de longues semaines dans les trains, à ne pas se laver pendant des jours et des jours, à se nourrir difficilement, à attendre dans le froid et l’inconfort. Il ne s’épargne pas, comme ses compagnons de route ne s’épargnent pas. Mais ils n’ont pas d’autre choix que de partir sur les routes. Tous ont eu un jour ou l’autre la même envie, ont répondu au même appel : « Il faut que je me tire d’ici ». Ils ne pouvaient pas vivre chez eux, ils ne pouvaient pas vivre comme les autres, dans le système.
Et même si parfois l’aventure tourne mal, ça n’a, au fond, pas d’importance.
« Un ami à lui s’était fait caillasser et avait dû sauter du train qui roulait à quarante à l’heure, pour échapper à la police. Ce qui ne l’empêchait pas de garder un bon souvenir de ses années de resquille, parce que le train l’endormait merveilleusement et que bien sûr j’ai vu des choses que je n’aurais jamais vues autrement. Autrement dit, il atteignait le Grand Partout ».
Le Grand Partout est un livre très américain. Américain par son thème qui s’inscrit dans une littérature de la route et américain aussi par son traitement. On est dans une sorte de journalisme, mais du journalisme haut de gamme, avec une plume qui fait son effet.
« Après une nuit froide et agréable qui perdura toute une année, l’aurore finit par poindre. Le bleu laiteux du Pacifique semblait s’étaler juste à la droite du train, cependant qu’une lumière jaunâtre, aussi fixe que la lune, restait plantée toute seule dans l’eau. Je crus qu’il s’agissait d’un très lointain fanal des gardes-côtes. La crête des vagues, diagonale blanche et immobile, barrait l’océan. Puis l’atmosphère se dégagea et toutes les autres vagues apparurent, avec leurs mouvements cadencés. L’air de la mer restait humide et frais ; mes mains étaient froides, mais pas engourdies ; c’étaient mes pieds, dans leurs chaussettes mouillées, qui souffraient le plus ».
C’est aussi l’envers d’une société que Vollman explore, ses laissés pour compte, qui vivent à la marge et qui n’acceptent pas la marche des choses. Vollmann plonge dans ce monde, au grand désarroi de son père qui ne comprend pas comment son fils peut mettre sa vie en danger, comme il a pu le faire en allant en Alaska ou en Bosnie au moment de la guerre. Mais Vollmann a besoin de vivre sa vie à fond et c’est à partir d’elle qu’il en tire une partie de son œuvre. On sera bien curieux de lire un jour son autobiographie.
Yann Suty
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