Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)
Le Grand Meaulnes suivi de Choix de lettres, de documents et d’esquisses, Alain-Fournier, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, mars 2020, 640 pages, 42 € (prix de lancement jusqu’au 31 août 2020)
Le Grand Meaulnes, déjà lu ? Allez en Sologne pour le relire. Dans un champ de coquelicots, voyez ce papillon qui s’approche, s’éloigne aussitôt. Lisant Le Grand Meaulnes, les questions qui sont venues à l’esprit du poète Jaccottet nous viennent au cœur : « Et si [les pétales du coquelicot] étaient des morceaux d’air tissé de rouge, révélé par une goutte de substance rouge, de l’air en fête ? ». Les papillons « tout en ailes, presque sans corps, tout juste là pour montrer la lumière, la couleur », ne sont-ils pas plutôt « des morceaux de vent colorés » ?
Remarquable édition dans la Pléiade, qui fera date, de l’œuvre unique d’Alain-Fournier, accompagnée de lettres et de documents permettant « de suivre chronologiquement [une] double histoire, celle d’une passion amoureuse [vécue par l’auteur] au sillage jamais refermé, et celle de la genèse du roman, de 1904 – avant la [R]encontre – à 1913 – année de publication du Grand Meaulnes ».
Immense popularité de cette œuvre devenue « fécond mythe culturel », – roman qui, pour reprendre l’avis de Cocteau concernant ses Enfants terribles influencés justement par le travail d’Alain-Fournier, peut être considéré comme « le bréviaire des mythomanes et de ceux qui veulent rêver debout ». Combien, comme Jean Giraudoux (c’est le titre de l’allocution qu’il prononça au lycée Alain-Fournier de Bourges, le 29 mai 1937), ont pu s’écrier : « [e]t moi aussi j’ai été un petit Meaulnes » !
Toujours, en ce roman, il s’agit de contredire l’affirmation de Pierre Jean Jouve : « Oui, oui il fallait que je saisisse toute occasion de sortir de mon ‘songe’ pour retrouver, vérifier, un fragment de […] vie, rentrer dans le vrai […]. Il fallait que je connusse le plus possible […] ». Toujours, en ce roman, il s’agit, contredisant Jouve, d’approcher – avec une lenteur précautionneuse, avec une lenteur amoureuse – deux vers de George Gordon Byron : « Aux heures calmes d’un temps plus nouveau, / Quand deux cœurs se plaisaient à se mêler […] ».
Mais les approcher seulement. Car, pour Alain-Fournier, l’aimée est exactement la musique telle que décrite par Robert Walser : « Devant la musique je n’éprouve jamais qu’un seul sentiment : je manque de quelque chose. Je ne comprendrai jamais la raison de cette douce tristesse et je n’essayerai jamais non plus de la comprendre […]. Quelque chose me manque quand je n’entends pas de musique, et quand j’en entends le manque est encore plus grand. Voilà ce que je peux dire de mieux sur la musique ».
Ce manque – c’est là toute la « leçon » du Grand Meaulnes, telle que mise à jour par Philippe Berthier –, paradoxalement nous construit.
Matthieu Gosztola
- Vu: 2654